Chaque jour, une épave : 3 février 1933, le sauvetage héroïque de l’Estrid

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Chaque jour, découvrez dans www.plongee-infos.com l’histoire d’une épave, coulée à la même date par le passé, quelque part près des côtes françaises ou ailleurs dans le monde, déjà explorée… ou pas ! Vous retrouverez ainsi quotidiennement un nouveau site, pour vous confectionner une collection passionnante pour vos futures plongées ou simplement pour explorer… l’Histoire!

Pour les chasseurs d’épave, les recherches sur le littoral breton offrent un avantage certain: la plupart des naufrages se produisent sur des récifs, tout près des côtes. Ces épaves sont donc plus facilement accessibles que les plus lointaines, à condition bien sûr, qu’il règne un calme plat… C’est la cas du cargo Estrid, dont c’est aujourd’hui l’anniversaire du naufrage, le 3 février 1933, près d’Audierne dans le Finistère.

L’Estrid était un cargo danois en acier à vapeur. Construit en 1924 par les chantiers Flydedok & Skibsvaerft à Copenhague pour la compagnie Torm Dampskibselsskabet, basée elle aussi dans la capitale du Danemark, il mesurait 72 mètres de long sur 11 mètres de large et 4,2 mètres de tirant d’eau, pour une jauge de 1200 tonnes. Sa machine à vapeur de 3 cylindres à triple expansion de 83 cv le propulsait à 10,5 nœuds. En ce début d’année 1933, l’Estrid assurait la liaison entre Valence, en Espagne et Londres. Il était rempli à craquer d’une cargaison… d’oranges.

Hervé Levano, Historien maritime spécialisé dans les naufrages, raconte la catastrophe : «Dans la nuit du 3 février 1933, l’Estrid, commandé par le capitaine Nielsen, faisait route pour doubler la chaussée de Sein. Les conditions météorologiques étaient mauvaises. Perdu dans la brume, le vapeur s’échoua à 3h00 du matin sur un platier de roches et de galets près de la Pointe de Lervilly, commune d’Esquibien, à quelques centaines de mètres à peine du rivage. Les signaux lumineux et le beuglement de la sirène du cargo attirèrent l’attention des guetteurs du sémaphore de la pointe de Lervilly.

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La mer déferlait sur le plateau rocheux et le canot de sauvetage de la station d’Audierne, mis à l’eau dans l’urgence, ne pouvait approcher directement la coque du cargo. L’évacuation de l’équipage se fera donc le matin au moyen d’un va-et-vient installé au moyen d’un câble entre le vapeur et le canot de sauvetage. Les roches avaient déchiré le fond de la coque du cargo en plusieurs points. Le renflouement du cargo se révéla donc irréalisable et le navire fut abandonné. »

Dans les semaines qui suivirent, l’Estrid, toujours soumis à la violence des flots, se brisa en plusieurs tronçons, répandant sur toute la côte, de la pointe du Raz à Plouhinec, sa cargaison d’oranges pour le plus grand bonheur des riverains qui profitèrent de cette manne. A l’époque, la consommation d’oranges dans les campagnes françaises était beaucoup moins fréquente qu’aujourd’hui, comme tous les produits importés qui coûtaient très cher. La partie arrière, au ras du château central fut la première à être arrachée. L’Estrid s’effondrera lentement sur place, dans quelques mètres d’eau, démantelé par les déferlantes.

Aujourd’hui, les restes de l’épave sont éparpillés à une dizaine de mètres de profondeur, aux coordonnées : latitude 48° 00’ 015 N; longitude 04° 34’ 352 W. Les vestiges actuels se composent de portions de fonds de carène et de ballasts couverts de laminaires et dispersés dans les galets et entre les roches. Quelques éléments lourds et compacts comme le guindeau, les ancres et l’arbre d’hélice sont également visibles sous les algues. Le vestige le plus important est la chaudière, basculée verticalement dans les galets.

Tout l’équipage fut sauvé par le canot « Général-Béziat » et ses 12 marins, commandés par le patron Raymond Couillandre, d’Audierne. Les canots de sauvetage de la Société Centrale de Sauvetage, qui allait devenir par la suite la SNSM (Société Nationale de Sauvetage en Mer), remplissait les missions les plus dures pour venir en aide aux navires en perdition, uniquement au moyen de canots à avirons qu’ils n’hésitaient pas à sortir par tous les temps, souvent au péril de leur vie, mais il était inconcevable pour ces héros d’abandonner un équipage, quel qu’en soit le prix à payer.

Pour le sauvetage des marins de l’Estrid, l’équipage du canot « Général-Béziat » d’Audierne, fut invité à Paris pour y recevoir, sous les honneurs, un prestigieux trophée remis chaque année à l’équipe de sauveteurs qui ont exécuté la plus belle action d’héroïsme : le Mémorial du Matin, du nom du journal parisien qui a instauré ce prix.

Nous avons retrouvé la coupure du journal Le Matin relatant, non sans une certaine verve, la remise du Mémorial à l’équipe d’Audierne pour le sauvetage de l’Estrid :

« C’est à une grande leçon, que nous convie chaque année la Société centrale de sauvetage des naufragés en nous faisant assister, dans le cadre grandiose du grand amphithéâtre de la Sorbonne, à son assemblée générale au cours de laquelle sont distribuées les récompenses aux héroïques sauveteurs de la mer. Aujourd’hui encore, ce ne sera pas sans une profonde émotion que nous verrons, réunie autour de l’amiral Lacaze et venue de tous les points de nos côtes, cette pléiade de sauveteurs de tous âges : équipages de canots de sauvetage, patrons et marins pêcheurs, capitaines au long cours, officiers des armées de terre, de mer, de l’air et de la marine marchande, simples matelots, jeunes gens et jeunes filles, enfants, fraternellement confondus, qui nous montrent a quel point d’abnégation et de courage, des âmes françaises peuvent comprendre la solidarité humaine et l’altruisme.

Grande et noble leçon, en vérité, que celle que nous donnent ces humbles, d’un héroïsme parfois surhumain, qui portent si naturellement à un sublime degré la signification du mot Devoir!

Le mémorial du journal Le Matin, glorieux challenge de l’héroïsme qui récompense chaque année le haut fait le plus méritoire des sauveteurs de la mer sera attribué pour un an à l’équipage d’un canot de la Société Centrale de Sauvetage pour saluer l’acte le plus héroïque de l’année. Ainsi, une fois de plus, sur ce coin du Finistère, le Mémorial viendra attester de la vaillance bretonne.

Je veux, maintenant, vous conter le haut fait qui l’a ravi à tant d’autres hauts faits. Je voudrais retrouver, pour cela, les mots simples, hésitants et magnifiques du patron Couillandre. Je voudrais l’émailler de ces mille «Vous comprenez», de ces innombrables «C’est bien simple» dont ce brave homme, tout honteux, s’efforçait d’excuser son propre héroïsme et celui de ses hommes. Je lui ai fait une promesse c’est de vous présenter la chose, simplement, comme un «rapport de l’inscription maritime». Eh bien même comme cela, si ce récit ne vous émeut pas, s’il ne vous prend pas aux entrailles, c’est que j’aurai été alors bien maladroit.

C’était le 3 février 1933, 4 heures du matin. Nuit noire et brume. Un temps de chien, quoi ! Les hommes, dans ces petites maisons d’Audierne, où le vent piaulait par tous les interstices, griffant au toit les ardoises, se retournaient sous leurs couvertures, en se disant «On est mieux là qu’en mer !»

Tout à coup, un meuglement de sirène ; des coups précipités, sans interruption. L’appel du bateau qui se perd et qui a peur. En même temps, un coup de canon. Maintenant, les hommes sont fixés. C’est le sémaphore de Lervily qui alerte. L’écho n’en est point assoupi que les hommes ont déjà passé leur suroît. Réfléchir ? A quoi ? Et pourquoi faire ? Il y a un bateau en perdition. On y va.

La tempête ? Les vagues hautes comme une maison ? Le vent déchaîné ? Le sauvetage presque impossible, tout au moins hasardeux ? Vous pensez bien que, si on devait réfléchir à tout ça, le bateau serait déjà par le fond. Et voilà le canot «Général-Béziat» chargé de ses douze hommes qui grimpe à la crête des vagues, dégringole dans les vallées mouvantes qu’elles creusent, piquant vers ce cargo danois, l’Astrid, bien mal engagé sur les rochers de Lervily où la mer le balaye de bout en bout.

Accoster ? Impossible. Ce serait ajouter douze hommes de plus au funèbre palmarès. Le patron Couillandre mouille son embarcation. Autant que le permettent les rafales du vent, il encourage les hommes qui, sur le pont de l’Astrid grelottent de froid, de peur et aussi de cette espérance…

Enfin une clarté confuse annonce le petit jour. C’est le moment. A grand’ peine on est arrivé à installer un va-et-vient. C’est en s’accrochant à ce fil d’acier que l’équipage devra quitter l’Astrid pour gagner le canot. Plouf ! Il a du cran, le petit mousse. Il a sauté le premier dans la vague furieuse, comme le veut la hiérarchie inverse du sauvetage. Le dernier, comme le lui impose la loi de la mer, le capitaine Nielsen, à son tour, s’agrippant au filet a sauté à la mer.

Les seize rescapés sont à bord du frêle esquif qui danse sa diabolique farandole. Quel mal il a à se relever à la lame avec une telle surcharge de vies qu’on a sauvées. A plat bord, lentement, il rentre vers le port. Encore une difficulté: la barre. On est marin, chez nous. Du coeur, du biceps, la barre est franchie. Le Général-Béziat rague de son étrave les cailloux de la grève.

Sauveteurs et sauvés sont à peine sur la terre ferme qu’un commandement impérieux retentit. Au geste de leur chef, les hommes de l’Astrid, brisés de fatigue et d’émotion, se sont quand même, sous l’emprise des fortes disciplines, figés au garde à vous. Sur deux rangs face à leurs sauveurs. Ceux qui ont encore un béret se sont découverts. Un triple hurrah, un triple merci pour la vie sauve. L’écho, par-dessus les épaules secouées des nôtres qui pleurent, en monte sur l’aile de la tempête, vers Dieu.

Suivant la tradition instituée par le Matin, un exploit a été sélectionné dans le palmarès de 1933. L’attribution du Mémorial qui récompense la belle action du canot Général-Béziat, sous le commandement du patron Couillandre, s’est effectuée à 17 heures, dans le hall de notre journal. C’est le capitaine de corvette Cogniet qui a présenté au Matin le groupe de braves qu’accompagnaient des femmes et des filles de marins, en costumes régionaux. Un collaborateur de notre journal rappela la fondation du challenge, cita les équipages qui le méritèrent avant l’équipage du Général-Béziat et évoqua le dramatique sauvetage du vapeur Astrid, qui aura valu au patron Couillandre et à ses hommes, d’être à l’honneur au Matin, avant d’être acclamés à la Sorbonne, en compagnie de leurs valeureux camarades.

Le capitaine de corvette Cogniet a assuré que ses braves, qui ont la mémoire des bons accueils, n’oublieraient pas celui que leur avait réservé le Matin. Il demanda que fût associé à l’hommage aux grands lauréats de demain, le benjamin du palmarès, le jeune Revoal, sauveteur de douze ans, qui, durant la réception, ne quitta pas l’imposant patron Lévavasseur, vétéran du groupe et grand sujet d’admiration pour le garçonnet.»

Cette vidéo présente un document filmé en 1931 qui est une reconstitution d’un sauvetage par l’équipage du canot Général-Béziat. On peut y voir notamment la mise en œuvre du va-et-vient pour transférer les hommes dans le gros temps.

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