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Texte Philippe Rousseau – Photos Philippe Rousseau ; Photo ouverture Yvan Chocoloff

 Il s’appelait Nils Christensen, aucun plongeur d’aujourd’hui ne le connaît et pourtant, nous lui devons tous notre sécurité… Pourquoi ? Parce qu’il y a bien longtemps, en 1937, cet homme a eu l’idée d’inventer le… joint torique cher à nos équipements de plongée ! 

Je ne suis pas persuadé que vous saviez qui avait inventé le joint torique que nous utilisons aujourd’hui systématiquement dans nos équipements de plongée. Ce n’est qu’au début des années « 60 » que notre matériel de plongée a été doté astucieusement de joints toriques pour résoudre les problèmes d’étanchéité les plus délicats en remplaçant les joints à gaz plats.

Tri-bouteilles aluminium « Tri-Madame » de LA SPIROTECHNIQUE, robinetterie droite et en «T» à joints plats et à filetages coniques, détendeurs « C.G. 45 » et clés de serrage en bronze

Le précurseur oublié

Thomas EDISON 

C’est à un incroyable esprit inventif de la seconde moitié du 19èmesiècle que nous devons la toute première évocation d’un joint d’étanchéité rond comme pièce accessoire secondaire dans un brevet d’invention. Cet homme visionnaire totalement hors normes était Thomas EDISON (1847 – 1931), industriel américain ayant déposé plus de 1.000 brevets d’inventions tout au long de sa vie et dont les usines vont employer jusqu’à 35.000 personnes. Nous lui devons entre autres le télégraphe, l’ampoule électrique à filament, mais surtout le phonographe capable d’enregistrer la voix dès 1877. Dans l’un de ses brevets déposé en 1882 et consacré à son invention de la lampe à incandescence, il mentionne la nécessité d’un joint de caoutchouc rond entre le verre de la lampe et la partie métallique du culot afin de conserver le vide nécessaire dans l’ampoule. Mais ce joint de caoutchouc rond ne fera pas l’objet d’un dépôt de brevet particulier, étant juste un élément accessoire.

Son idée sera d’ailleurs reprise dans un autre dépôt de brevet d’invention suédois datant du 12 mai 1896. Personne ne perçoit encore toute l’étendue des possibilités de ces joints ronds.

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Le concepteur

Niels CHRISTENSEN 

Niels Anton CHRISTENSEN est né en 1865 dans une ferme à TORRING-ULDUM (Danemark). Il fait ses études à l’Institut Technique de COPENHAGUE (actuelle Faculté des Sciences de COPENHAGUE). Puis il émigre aux Etats-Unis en 1891, à l’âge de 26 ans, pour un emploi de dessinateur industriel au sein de la société « FRASER & CHALMERS » à CHICAGO (Illinois) qui fabriquait des machines pour les mines, des chaudières, des pompes, etc… Il n’y restera que quelques années, avant de concevoir lui-même les matériels et devenir un expert en systèmes de freinage à air comprimé, notamment pour les tramways. Il crée sa propre entreprise, l’imposante « CHRISTENSEN Engineering Company », implantée à MILWAUKEE (Wisconsin). Au tout début du 20èmesiècle, il y fabrique des moteurs électriques puis avant la 1èreGuerre Mondiale des moteurs à essence. Il devient à son tour un industriel réputé.

Usine « The Christensen Engineering Company », MILWAUKEE, Wisconsin (USA), début du 20e siècle

Les années passent et Niels CHRISTENSEN ne perd pas son attrait pour la recherche de solutions techniques innovantes. En 1933, il travaille dans le sous-sol de sa maison sur le principe d’un joint d’étanchéité capable de se déformer légèrement pour épouser les formes des portées de joint. Il fera d’innombrables essais en taillant lui-même les joints à tester. Ce travail personnel va durer pendant 4 années. Le 2 octobre 1937, donc à l’âge de 72 ans, il dépose la demande de brevet d’invention qui lui sera finalement délivré le 21 novembre 1939 sous le numéro 2.180.795.

Intérieur de l’usine « The Christensen Engineering Company », MILWAUKEE, Wisconsin (USA), début du 20e siècle 

Ce brevet général concerne précisément la prévention d’éventuelles fuites de liquides hydrauliques grâce à des joints de section ronde. La 2èmeGuerre Mondiale éclate et le Gouvernement américain décide d’utiliser un certain nombre d’inventions techniques récentes au bénéfice de l’industrie de l’armement et de l’aéronautique. Sans demander son accord à Niels CHRISTENSEN, les premiers joints toriques seront installés sur des mécanismes équipant des avions militaires américains. Le système se révélera d’une très grande efficacité.

Intérieur de l’usine « The Christensen Engineering Company », MILWAUKEE, Wisconsin (USA), début du 20e siècle 

En 1942, il recevra un dédommagement symbolique de 75.000 dollars. Après la guerre, Niels CHRISTENSEN va déposer plainte et engager des procédures judiciaires à l’encontre du Gouvernement américain pour l’utilisation abusive et sans son accord des joints toriques qu’il avait inventés. Les procès vont s’éterniser et Niels CHRISTENSEN décède le 5 octobre 1952, à l’âge de 87 ans. Ce n’est finalement qu’en 1971, soit 19 ans après sa mort, que ses héritiers reçurent sur décision de Justice et en solde de tout compte un second dédommagement de 100.000 dollars.

Comment faisions-nous avant ?

Ce n’est qu’au début des années 1960 que les joints toriques vont apparaître dans le matériel de plongée. Avant cette période, l’étanchéité entre les robinetteries des bouteilles et les détendeurs se faisait avec des joints plats qu’il fallait serrer très fortement à la clé. A cette époque, les rares moniteurs de plongée étaient facilement repérables : ils portaient autour du cou une garcette sur laquelle était accrochée une clé de serrage en bronze moulé à 6 pans. Ces clés de serrage faisaient partie des accessoires vendus par les fabricants des détendeurs. 

Scaphandres autonomes ventraux « LE PRIEUR » (1934) avec robinetteries à filetages coniques et mano-détendeurs 

Les robinetteries des bouteilles haute-pression étaient alors le plus souvent à filetage conique, ce qui impliquait que l’étanchéité relative métal sur métal (laiton chromé sur acier ou sur aluminium) ne pouvait se réaliser que sur 1 ou 2 tours seulement. Pour remédier à cet inconvénient, l’étanchéité était améliorée par de fines bandes de téflon sur les filetages mâles. Et avant que les bandes de téflon n’existent dans les matériaux utilisés en plomberie, l’étanchéité se réalisait avec de l’étoupe entre les filetages mâle et femelle. Et il fallait là encore serrer avec des couples de serrage déraisonnables.

Plus ancien encore, sur les bouteilles d’air comprimé à 150 bars « MICHELIN » utilisées pour les scaphandres dorsaux « FERNEZ – LE PRIEUR » à partir de 1926 et pour les scaphandres ventraux « LE PRIEUR » à partir de 1934, l’étanchéité entre la bouteille et sa robinetterie était assurée avec du « baume de Dijon », créant une sorte de soudure à froid entre les filetages mâle et femelle.

Plongée dans la rivière Lot à ESPALION (Aveyron) avec le régulateur original type «ROUQUAYROL – DENAYROUZE» en cuivre du Musée du Scaphandre (pièce classée au titre des «monuments historiques» depuis lors, en 2006)

Sur le régulateur original de type « ROUQUAYROL – DENAYROUZE » en cuivre du Musée du Scaphandre à ESPALION (Aveyron), pièce classée au titre des « monuments historiques » par Arrêté ministériel en date du 2 octobre 2006, le clapet anti-retour situé à l’entrée du cylindre-réservoir horizontal a été réalisé à l’époque « métal sur métal ». Je me suis occupé par le passé pendant une quinzaine d’années de l’entretien et de la révision avec réglages périodiques de cette pièce d’exception pour la maintenir en état de plonger. Plus d’un siècle après sa fabrication, l’étanchéité de ce clapet anti-retour métal sur métal était toujours absolument parfaite ! C’est dire le soin méticuleux qui avait dû être apporté à l’usinage de l’ensemble siège-clapet et à un fin rodage manuel probablement réalisé par un ouvrier patient et expérimenté…

Action boursière de « The Christensen Engineering Company », MILWAUKEE, Wisconsin (USA), 1921

Le joint torique a solutionné de nombreux problèmes délicats d’étanchéité dans notre matériel de plongée subaquatique : un élément ne coûtant que quelques centimes à produire, mais rendant de si grands services ! Merci encore, monsieur Niels CHRISTENSEN, pour cette remarquable innovation dont vous n’aviez évidemment pas encore à l’époque imaginé toutes les applications pratiques.

2 Commentaires

  1. Très intéressant comme tous les articles de PH. Rousseau
    Effectivement le joint torique à bouleverser la plongée, Car le joint plat j’en ai vécu des moments cruciaux quand il pétait sur un chantier et que l’on en avait pas en réserve. Alors dans les débuts de la sogétram on avait résolu le problème avec un emporte pièce que Galerne avait fait fabriquer. Ce qui nous permettait avec une plaque de caoutchouc prévu à cet effet et un solide marteau d’en produire en quantité suffisante. sauf le jour ou à l’étang du Lanoux en 1953, les ingénieurs de l’EdF pour qui l’ont travaillait était venus nous rendre visite nous les premiers Hommes grenouilles. Là ils on été surpris de nous voir nous tailler des joints plats dans une vieille semelle de chaussure en cuir avant de descendre à 40 M.

  2. […] S’ensuit la Deuxième Guerre Mondiale où ces joints d’un genre nouveau furent largement utilisés pour l’armement et l’aéronautique, sans même demander l’autorisation de l’inventeur, d’ailleurs. Je tiens ces maniaques précisions du psychopathe collectionneur et néanmoins ami Philippe Rousseau dont on consultera à profit cet excellent article. […]

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