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Texte et illustrations Philippe Damon

Aux premiers balbutiements de la plongée en scaphandre “pieds-lourds”, au milieu du XIXe siècle, fut inventé un appareil qui est resté particulièrement méconnu, bien qu’il soit un maillon important dans l’épopée de l’exploration subaquatique. Philippe Damon, grand spécialiste de la question, nous livre le fruit de ses recherches.

A l’origine, l’appareil plongeur de Jean-Charles-Gustave Paulin, Lieutenant Colonel commandant des Sapeurs Pompiers de Paris, est un équipement aérien prévu pour préserver de l’asphyxie les hommes appelés à travailler dans les lieux insalubres. 

L’appareil antiméphitique : La blouse Paulin

Le 2 décembre 1836, le Lieutenant Colonel Paulin dépose un brevet d’invention d’une durée de 5 ans pour : “un appareil antiméphitique et son application aux arts industriels”, dont l’utilisation première est de soustraire le porteur aux atmosphères insalubres.

La volonté du lieutenant Colonel Paulin était de concevoir un équipement simple et utilisable même par des personnes non expérimentées. En voici la description par l’inventeur : ” J’ai recouvert le sapeur coiffé de son casque d’une large blouse en basane, avec un masque demi sphérique. Au dessous du masque est un sifflet à soupape pour faire les commandements. La blouse est serrée sur les hanches par une ceinture faisant partie de l’uniforme du sapeur, deux bracelets à boucles ferment les poignets, deux bretelles placées en avant du bas de la blouse passant entre les jambes du sapeur et se bouclant derrière servent à empêcher la blouse de remonter lorsque l’homme agit “.

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La blouse, qui doit recevoir continuellement l’air nécessaire à la respiration du sapeur pompier, est munie d’un raccord situé à la hauteur de la poitrine sur lequel est fixé le tuyau d’alimentation en air provenant d’une pompe à incendie modifiée pour cet usage.

L’air qui arrive au sapeur pompier doit être en quantité bien supérieure à ses besoins afin de refouler à l’extérieur les éventuelles fumées ou vapeurs méphitiques qui pourraient pénétrer à l’intérieur de la blouse par les ouvertures. 

La blouse Paulin permet aux sapeurs pompiers de supporter sans danger, et pendant une demi-heure, une chaleur de 50 degrés centigrades.

L’appareil plongeurPaulin

La fabrication du nouvel appareil pour plongeur va débuter dès la fin de l’année 1837. Après une année de mise au point, le Lieutenant Colonel Paulin dépose un brevet d’addition le 5 novembre 1838 pour : “le perfectionnement de l’appareil Paulin pour pénétrer dans les lieux infectés, de peu de capacité, et application au plongeur, qui doit rester longtemps sous l’eau pour y travailler “.

Description

Il s’agit d’un équipement alimenté en air depuis la surface par une pompe. Il se compose principalement : d’un casque muni de son système d’étanchéité nommé cravate (E), d’un ensemble de bretelles (FF) rattachées à une ceinture, de souliers lestés, appelés contrepoids (K), et d’une corde que l’inventeur appelle commande (I). A sa création, aucun vêtement étanche ne protégeait le plongeur du froid, le sapeur pompier s’immergeait avec une chemise et un pantalon ordinaires. Une lanterne à huile étanche complétait l’équipement.

Reproduction du dessin accompagnant le brevet d’addition du 5 novembre 1838.
Source Archives I.N.P.I. Courbevoie

Le casque

Il est en fer et comporte sur sa partie supérieure le raccord (B) permettant de fixer le tuyau d’arrivée d’air (A). Il est muni intérieurement de 6 bourrelets pour protéger la tête du plongeur et faciliter la circulation de l’air. Sur le devant du casque se trouve une large vitre(C) en verre bombé, assurant la vision de l’homme. Sous ce hublot, au niveau du menton, se trouve un tuyau d’expiration avec une soupape (D), dont le devant est garni d’un filtre. Celui ci est équipé d’un tamis empêchant les corps étrangers en suspension dans l’eau, de gêner le mouvement de la soupape. 

Au bas du casque, et sur toute sa circonférence, est fixé un morceau de cuir souple et mince, servant à recouvrir la cravate (E).

La cravate

Elle est en cuir garni intérieurement d’éponge et se place autour du cou du plongeur. La cravate (E) a pour rôle d’empêcher l’eau de pénétrer à l’intérieur du casque en faisant office de joint entre le cou et la jupe en cuir souple du bas du casque. Une courroie en cuir recouvre et serre l’ensemble, sans stopper la respiration du plongeur, car la forme intérieure de la cravate est prévue pour ne pas l’étrangler. 

L’air nécessaire à la respiration du plongeur, issu d’une pompe en surface, est acheminé par un tuyau jusqu’au casque et arrive en quantité bien supérieure à ses besoins. Cette surpression d’air permanente repousse l’eau qui pourrait s’introduire dans le casque par les interstices possibles à l’encolure.

Les bretelles et la ceinture

En immersion, le casque rempli d’air de manière continue a sans cesse tendance à remonter en direction de la surface. La traction exercée sur le col, et particulièrement sur la jupe en cuir du casque, peut provoquer un déplacement de la cravate et de la courroie qui maintient l’ensemble. Une entrée d’eau subite peut être fatale pour le plongeur. Pour remédier à cet inconvénient, le lieutenant Colonel Paulin préconise de rendre solidaire le casque et la ceinture en les reliant par deux bretelles (FF) en cuir. Ces dernières sont fixées au-dessus du casque et descendent de chaque coté des épaules. Elles possèdent à leur extrémité une attache avec boucle de réglage qui donne au plongeur  la faculté de tendre ou de relâcher les bretelles à volonté.

La ceinture en cuir possède 3 anneaux (GGG). Le premier, sur le devant et central, est utile à la commande (I). Les deux autres, sur la partie inférieure, et de chaque coté, servent aux contrepoids (KK).

Les contrepoids

Ce sont des souliers dont la semelle est en plomb, une simple courroie en cuir sert de fixation. Ils permettent au plongeur de s’immerger rapidement et de ne pas être soulevé à chaque mouvement. L’ensemble pèse 17 kilos. Les contrepoids (KK) sont attachés à deux courroies (HH) qui viennent se fixer aux deux anneaux (GG) de la ceinture au moyen de deux mousquetons, de sorte que l’on puisse les abandonner pour regagner instantanément la surface de l’eau. Les deux courroies ont aussi des boucles de réglage qui permettent de les resserrer ou de les relâcher à volonté.

La commande

Il s’agit d’une corde que le plongeur peut actionner à la main pour des raisons de sécurité ou pour communiquer avec une personne postée en surface. La commande (I) passe dans l’anneau (G) placé au milieu de la ceinture du plongeur et se dédouble pour aboutir à chacune des boucles des courroies (HH) qui sont associées aux contrepoids (KK). 

La commande a pour fonctions : 

  • De récupérer les contrepoids si l’homme est remonté à la surface en s’en débarrassant.
  • De retirer l’homme de l’eau si un accident quelconque arrivait.
  • De faire parvenir au plongeur les objets qu’il demande par l’intermédiaire d’un tableau sur lequel il écrit.
Reproduction de l’appareil plongeur Paulin 1838

La lanterne étanche

Elle est réalisée à partir d’une lampe à huile qui se trouve enfermée dans une enceinte en fer blanc. La partie supérieure de forme conique joue le rôle de cheminée et est surmontée d’un tube d’aspiration (A) qui évacue l’air vicié et la fumée. 

A l’intérieur du corps de la lanterne (C) se trouve le réservoir contenant l’huile et la mèche. En cas d’inclinaison de la lampe, un mécanisme assure la verticalité de ce réservoir

Sous le réservoir se trouve une boite en fer (D) dans laquelle aboutit le tube vivifiant (B) qui alimente en air la mèche. Le tube vivifiant (B) sort de la boite (D) et remonte latéralement le long de la lanterne, puis est accolé au tube d’aspiration (A).

A la partie inférieure du corps de la lanterne se trouve un récipient percé de trous (E) dans lequel on place du lest pour faciliter l’immersion.

Deux tuyaux en cuir (FF) sont adaptés aux extrémités des tubes de fer (A et B). 

L’aspiration de l’air vicié et de la fumée par le tube de la cheminée (A) provoque le vide d’air qui est comblé immédiatement par l’air frais venant du tube vivifiant (B) pour se diriger ensuite dans la partie (D), sous la mèche. Cette circulation d’air, faite au moyen d’un soufflet ou d’une pompe, assure la combustion. L’aspiration agissant verticalement, la flamme est attirée dans cette direction et ne vacille jamais.

L’alimentation en air du plongeur et de la lanterne

Le système se compose de deux soufflets ou de deux corps de pompe, l’un destiné à refouler de l’air dans le casque, l’autre à aspirer la fumée de la lanterne. Pour éviter les complications mécaniques les deux machines à air sont sur le même bâti et sont actionnées simultanément. Par ce moyen, le plongeur sera toujours accompagné de la lanterne. Notons qu’aucun dessin montrant le système d’alimentation d’air ne figure dans le brevet.

Le vêtement imperméable pour résister à l’action du froid  

Le plongeur, équipé d’une chemise et d’un pantalon, peut ressentir le froid lors des immersions hivernales ou lorsque les plongées se prolongent un certain temps. Pour remédier à ce problème, le lieutenant Colonel Paulin revêt son plongeur d’un vêtement qui se compose :

– D’un pantalon et d’une veste en cuir ou d’une autre matière imperméable.

– D’une ceinture en métal à gorge et à brisures pour pouvoir s’ouvrir et se refermer sur l’homme. Elle porte dans le haut un plastron en métal pour résister à la pression de l’eau sur la poitrine. Un bas ventre en métal et à écailles protège le plongeur sans gêner les mouvements de flexions. La veste et le pantalon sont réunis dans la gorge de la ceinture par une courroie qui empêche l’eau de pénétrer. Le plastron et le bas ventre en métal ne sont que des précautions.

L’utilisation de l’appareil plongeur Paulin 

L’appareil plongeur Paulin,employé de manière quasi exclusive par les sapeurs pompiers, tombera dans l’oubli. Néanmoins, une trace d’utilisation est retrouvée aux Archives de l’Académie des sciences : la séance du lundi 25 novembre 1844 nous dévoile un compte rendu relatant la plongée d’exploration du naturaliste Milne Edwards sur les côtes de Sicile avec cet appareil. Milne Edwards fut nommé en 1862 professeur de zoologie au Muséum en remplacement de Geoffroy Saint-Hilaire. Ses principaux travaux portèrent sur les mollusques et les crustacés. Il rédigea de nombreux ouvrages scientifiques dont les plus connus sont : Histoire naturelle du littoral de la France, Eléments de zoologie, Physiologie et Anatomie comparée, Histoire naturelle des invertébrés, etc.

Portrait de Milne Edwards

Extrait du Compte rendu de l’Académie des sciences

Les travaux d’études de Milne Edwards sur la faune maritime française vont le contraindre à revêtir un équipement de plongeur. Si l’observation et les prélèvements d’échantillons de zoophytes, de mollusques, de vers et de crustacés peuvent se réaliser à marée basse sur le littoral atlantique et de la Manche, ce n’est pas le cas pour le littoral méditerranéen. En effet, l’absence presque complète de marée en Méditerranée rend impossible ce type d’observation. Pour continuer ses recherches et étudier des animaux vivants, Milne Edwards doit s’immerger au fond de l’eau à l’aide d’un appareil.  Voici une partie du compte rendu du savant :

” J’ai souvent eu le désir de descendre dans une cloche à plongeur, afin de pouvoir examiner à loisir les rochers sous-marins habités par les êtres dont je voulais faire l’objet de mes recherches. Mais la cloche à plongeur, à raison de son volume et de son poids, n’est pas d’un usage facile; ce n’est pas sur un petit bateau pêcheur et à l’aide d’un faible équipage qu’on peut la manœuvrer; il a fallu donc y renoncer, et j’ai pensé qu’il serait possible d’arriver au même résultat en ayant recours à un appareil analogue à celui qui a été inventé par le colonel Paulin, pour servir dans les cas d’incendie, où il faut pénétrer au milieu d’une fumée épaisse et de vapeurs dont l’action sur les poumons serait promptement mortelle. Je savais d’ailleurs que cet officier distingué avait modifié son appareil dans la vue de l’adapter aux besoins des ouvriers qui ont à travailler sous l’eau, et il m’a semblé que, dans certaines circonstances, le zoologiste pourrait en retirer de grands avantages. Je me suis donc déterminé à tenter ce mode nouveau d’exploration sous-marine, et c’est dans les eaux calmes et transparentes des côtes de la Sicile que j’ai voulu en faire l’expérience, car dans ces mers j’espérais trouver en nombre considérable les animaux dont je désirais étudier la structure et le mode de développement. Monsieur le Ministre de l’Instruction publique a bien voulu mettre à ma disposition les embarcations nécessaires pour l’exécution de ce projet, et l’Académie m’a confié un appareil de plongeur construit sous la direction du colonel Paulin.

Cet appareil consiste dans un réservoir métallique ayant la forme d’un casque, et communiquant, à l’aide d’un long tube flexible, avec une pompe foulante destinée à y pousser sans cesse de nouvelles quantités d’air. Revêtu de ce casque, dont la visière est vitrée et dont le bord inférieur s’adapte sur un coussin placé autour du cou, je m’alourdissais à l’aide de sandales de plomb, afin de faire contre-poids à la masse d’air qu’il me fallait emporter avec moi au fond de l’eau, et me fixant à une corde convenablement disposée, je me laissais descendre dans la mer. L’air injecté dans le tube de communication, au moyen de la pompe, arrivait en abondance jusqu’à moi, et, s’échappant ensuite au dehors par les interstices restés béant entre le bord inférieur du casque, servait non seulement à alimenter ma respiration, mais aussi à empêcher l’eau de s’élever dans l’intérieur de ce réservoir jusqu’au niveau de ma bouche. Enfin, pour remonter il me suffisait de me débarrasser de mes sandales de plomb, qui faisaient contre-poids à la masse d’air emprisonné autour de ma tête; ou bien, sur un signal convenu, de me hisser à bord par mes matelots, à l’aide de la corde dont je m’étais précédemment servi pour plonger “. 

Les Sciences Naturelles immortaliseront l’appareil plongeur Paulin !

Conclusion

L’équipement de plongeur du colonel Paulin permet de constater quelques innovations technologiques intéressantes. L’appareil plongeur Paulin est le premier équipement français comportant un seul tuyau d’alimentation en air associé à une soupape d’expiration qui en évacue l’excès.

Le système d’abandon des souliers lestés, peu pratique, sera malgré tout amélioré par d’autres inventeurs. Notons l’apparition de la commande qui relie le plongeur à la surface et surtout la lanterne sous-marine qui mérite une attention particulière. 

Son utilisation en 1844, par le naturaliste Milne Edwards, nous permet de constater qu’il n’y a pas d’évolution avec le modèle initial de 1838 dont le brevet expirait en décembre 1841.

La supériorité technique des nouveaux équipements concurrents fera tomber l’appareil de plongeur Paulin dans l’oubli.

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