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Stéphanie Nassenstein vit en Suisse, proche du lac Léman où elle travaille comme gestionnaire de projet. Elle a toujours aimé l’eau depuis sa plus tendre enfance, c’est son père qui lui a appris à nager, il était un sportif de haut niveau en Allemagne quand il avait 18 ans. Stéphanie vit de ses passions, ainsi dès qu’elle le peut elle s’adonne à la lecture, l’archéologie et les voyages, plaisirs que lui ont transmis son père et son grand-père. Mais elle a également une autre passion qui pourrait être au centre de toutes les autres, la plongée sous-marine qui lui apporte la paix, la méditation et la curiosité. Il y a 16 ans elle découvre la plongée sous-marine à Curaçao dans la mer des Caraïbes, depuis elle est devenue Divemaster, Extended Range et Intro Cave TDI. Elle conjugue lorsqu’elle le peut toutes ses passions, elle nous raconte comment elle est devenue archéologue sous-marin amatrice.

Toute ma vie, j’ai été bercée par l’histoire et l’archéologie, entre un grand-père qui crapahutait l’Allemagne dans les années 1920 pour dessiner les ruines oubliées et un père féru d’égyptologie. Quand je parcours les croquis de mon grand-père qui ont près d’un siècle aujourd’hui, je me demande si ma plume peut lui rendre hommage pour ses découvertes. Ma joie enfantine reste intacte quand je scrute les sesterces romains qu’il avait trouvés, espérant que le cuivre verdi puisse parler pour raconter les mains qui les ont usées. Peut-être est-ce ainsi que je suis aussi devenue scout, pour l’amour de la nature. Quant à mon père, je me souviendrai toujours de son regard humide posé sur les Pyramides de Gizeh, un voyage qu’il voulait faire au moins une fois dans sa vie. Parfois, je le taquinais en le voyant lire des histoires improbables d’extra-terrestres ayant colonisé notre Terre il y a 5000 ans, car pour lui, seuls des étrangers à notre monde auraient pu construire ces gigantesques pyramides, à travers les océans, en même temps.
Pour remonter le temps, je me suis immergée dans les livres anciens que mon grand-père possédait, dont ce recueil de lois espagnoles écrit en latin et préfacé en espagnol, datant du 27 mars 1568 (donc un siècle après la mort de Johannes Gutenberg), avec son cuir rongé par les rats, et annoté par ces législateurs d’époque. Il n’en existe que 10 exemplaires au monde, et je n’ai aucune idée comment mon grand-père l’a acquis. Et j’ai aussi dû faire face à la propre histoire de mon grand-père qui a grandi dans l’Allemagne de l’époque douloureuse du nazisme. J’ai voulu comprendre qui il était, me penchant sur ses années de travail en tant que contre-espion en poste à Lisbonne comme Vice-Consul d’Allemagne, me plongeant dans une part noire de notre passé. Mais ceci est une autre histoire…

C’est la plongée qui m’a faite revenir à l’archéologie

Mes rêves de découvertes s’agrandissent avec les livres et documentaires, mais ils s’écroulent car je ne peux étudier l’histoire et l’archéologie à l’université pour moult raisons.
Entretemps, le virus de la plongée me pique et ne me quitte plus. Mais comment pourrais-je espérer conjuguer cette passion avec celle de l’histoire ? Les années passent et je n’y pense plus, en parlant seulement à de rares amis qui partagent cette passion pour l’histoire et l’archéologie.
En 2014, un ami me parle d’un cours d’archéologie subaquatique pour des non-archéologues. Mes rêves enfantins effleurent à nouveau mon subconscient. Je fais ainsi connaissance du CEAN. Le Centre d’Etudes en Archéologique Nautique propose un stage élémentaire d’archéologie subaquatique (brevet nommé NAS I), prédéfini par la Nautical Archaelogy Society, en collaboration avec Le Laténium et Dive Explorers. Le CEAN est une association à but non lucratif créée en 1999 et déclarée d’Intérêt Général en 2005. Il existe en France où son siège est localisé en Corse, mais aussi en Espagne sous le nom de Centro de Estudios en Arqueología Náutica – CEAN-España. Il est reconnu par la DRASSM et le Ministère de la Culture français (entre autres), ainsi que la Nautical Archaeology Society, la maison-mère de l’archéologique subaquatique. La Nautical Archaeology Society est une ONG britannique reconnue internationalement dans le domaine de l’archéologie subaquatique, notamment par l’UNESCO dont le Comité International pour le patrimoine culturel  subaquatique –ICUCH- du Conseil International des Monuments et des Sites –ICOMOS- favorise le développement dans de nombreux pays. » (je cite Fabien Langenegger, http://www.dendrochronologie.ch/blog/archeologie-subaquatique/cours-d-archeologie-subaquatique-au-latenium.html)

©photo-Fabien-Langenegger

Et si je me lançais dans ce cours ? Quels en seront les débouchés ? La curiosité me pique

Depuis l’Age de Bronze, la Suisse où je suis née et vis actuellement, fut l’axe le plus important sud-nord des voies fluviales. Avant le chemin de fer, les bateaux remontaient le Rhône depuis Arles, tractés par des bœufs, et traversaient le Lac Léman ; ensuite transportés jusqu’au Lac de Neuchâtel, y naviguaient, ainsi de suite à travers le Lac de Bienne, et finalement sur l’Aar qui se jette dans le Rhin – atteignant enfin la Mer du Nord. Pendant trois siècles, ce furent de riches échanges commerciaux et de denrées distribuées tout autour de la Méditerranée et dans toute l’Europe. Une autre région bénéficiait de l’axe est-nord, avec le Danube et le Rhin, délimitant également l’Empire Romain. Les régions traversées par les commerçants depuis cette époque sont riches en villages palafittes, en stèles déposées au gré des corporations de marchands et surtout en épaves (même sur terre). D’ailleurs, les principales tanneries de Genève sont encore sur pilotis au 17ème siècle. Il est important de revisiter l’histoire de toute la région sous un angle neutre pour mieux comprendre la dynamique d’époque.

Alors pourquoi ne pas apprendre l’archéologie subaquatique ?

Juillet 2014, je me retrouve au Laténium du Lac de Neuchâtel, un endroit unique qui regroupe un musée, le département d’archéologie du canton de Neuchâtel et les laboratoires de recherches. Nous sommes 6 étudiants, d’horizons très différents : 3

©Arnaud de Cazenave

archéologues, une paléontologiste, une biologiste, une gestionnaire de projet et un enseignant (pionnier de la plongée souterraine), 3 générations pour le même cours. Pendant les cinq jours suivants, j’ai appris l’approche méthodologique d’une fouille, à dessiner une épave par l’usage d’une grille à dessin et la trilatération, le dessin archéologique d’objets, manipuler une suceuse, connaître les noms de tous les éléments d’un bateau, la dendrochronologie, la conservation et surtout j’ai passé des heures sous l’eau. La partie pratique se passe à quelques pas du Laténium, sur une réplique du chaland gallo-romain « Altaripa », vieux de 2000 ans. La théorie se passe dans les salles de cours du Laténium, les archives du Laténium et également au laboratoire de dendrochronologie. Pour suivre ce stage, le niveau 2 (ou équivalent) est requis avec un minimum de 50 plongées, car il faut être à l’aise avec son matériel et avoir une excellente flottabilité. Il est impensable de soulever le sable et la vase lorsque vous dessinez une épave.

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Toujours envie de me perfectionner

Après l’obtention du brevet NAS I, les mois passent. Je cherche désespérément à parfaire mes connaissances, mais le seul moyen est d’acquérir le niveau suivant, « NAS II ». En 2015, j’ai donc monté une équipe de 4 personnes. La NAS 2 est l’équivalence d’une thèse ou documentation détaillée d’une épave qui n’a pas encore été documentée, et les étudiants s’organisent entre eux. Il s’agit surtout d’exercer toutes les choses apprises au NAS I. L’histoire raconte que le lac de Neuchâtel regorge d’épaves de toutes époques, et Fabien Langenegger du laboratoire de dendrochronologie de Neuchâtel nous oriente sur une épave en eaux peu profondes près du canal de la Broye, l’épave du «Pâturage aux Poulins». Elle a été observée dans les années 80, s’est ensuite ensablée, a été perdue, et redécouverte par Fabien en 2015. Nous nous décidons à nous aventurer sur cette épave. Moult autorisations ont été requises et acquises, avec le soutien du Département de l’Archéologie du Canton de Neuchâtel, la police et les autorités cantonales, et ceci toujours avec le soutien de la CEAN.

L’aventure commence avec l’équipe

Le premier jour, en juillet 2015, nous avons le point GPS de l’épave, et la voyons depuis la surface, le lac est d’huile. Surexcités, nous nous mettons à l’eau avec palmes, masque et tubas, et évaluons l’ampleur du travail qui nous attend. Une partie de l’épave est sous le sable, nous n’y toucherons pas, car nous n’avons pas de suceuse. Nous décidons de construire un carroyage adapté à l’épave, préparons nos planches submersibles A3 pour les dessins maritimes, et surtout devons batailler avec les perches juvéniles qui s’amusent à s’intercaler entre le papier et la planche. L’expérience humaine est indescriptible, et nos journées sont ponctuées par la plongée, les relevés sur place et les relevés de retour sur la terre ferme. Et oui, nous bataillons également avec les plaisanciers qui traversent notre espace malgré les bouées « P » = police. Bref, nous devenons copains avec le cygne du coin baptisé « Copain », râlons contre le miroitement du soleil sur nos planches et surtout manquons de nous noyer dans nos fous rires.

©Stéphanie-Nassenstein

Nous avons pu ainsi documenter, pendant 5 jours, l’épave d’un chaland du 19ème siècle, situé en eaux peu profondes dans le Lac de Neuchâtel. D’après nos relevés et recherches, ce bateau était un nâcon du 19ème siècle transportant de la Pierre Jaune (calcaire) d’Hauterives, donc la longueur pourrait atteindre 30 mètres, et qui aurait coulé en 1834, sans perte humaine. Nous avons eu de la chance avec le temps, passant plus de 6 heures par jour sous l’eau, vu la très faible profondeur. Hélios et Zéphyr étaient avec nous. Par la suite nous avons rendu notre thèse en 2017.

Fabien nous a également offert un cadeau : nos âmes curieuses sont récompensées par l’exploration d’une épave que personne n’avait encore répertoriée en 2015. Fabien l’a explorée entre-temps, c’est une embarcation gallo-romaine, du 1er ou 2ème siècle apr. J.C.. Elle git à environ 2m de fond, à moins de 500m de « notre » épave, dans une zone fréquentée par les plaisanciers, mais pas par les plongeurs. A cette profondeur, l’endroit regorge également de troncs d’arbres ensevelis dans le sable et la vase. Des arbres me direz-vous ? Oui, car le Lac de Neuchâtel a subi plusieurs corrections de son niveau, entraînant d’importantes érosions, donc forêts englouties. Quand pourrons-nous la documenter, encore un nouvel objectif en attente…

NAS III – et la suite ?

En Europe, la formation est difficile à continuer, car les cours sont rares (hormis au siège de la Nautical Archaeology Society à Southampton). J’ai quand même eu l’opportunité d’avoir une formation sur la conservation préventive du mobilier archéologique issu des milieux humides et aquatiques, au laboratoire A-CORROS à Arles, valable pour les crédits de la NAS III. La suite est musique d’avenir, je dois être patiente…

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