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Par Paul Poivert (MF2 FFESSM, I.T. TDI/SDI)

Pourquoi fait-on des paliers ? Et pourquoi les fait-on tous les 3 mètres ? Comment fonctionnent les ordinateurs de plongée et comment sont calculées les tables ? Autant de questions qui sont souvent posées par les néophytes. Les réponses ne sont pas si compliquées qu’on pourrait le croire…

Pourquoi fait-on des paliers ?

La première question, la plus souvent entendue, celle qui est posée par toutes les personnes qui ne plongent pas : pourquoi fait-on des paliers ?

Il faut remonter au début de la plongée en scaphandre pieds-lourds pour trouver la trace des premiers accidents de décompression. A cette époque, on croyait qu’il suffisait de s’immerger en respirant à l’aide d’un tuyau et que l’on pourrait ainsi remonter tous les trésors du fond des mers.

Puisqu’il n’y avait pas de limitation d’autonomie (l’air était pompé en surface et envoyé au plongeur en continu), les immersions pouvaient durer plusieurs heures.

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Aussi, quand les scaphandriers remontaient, certains se plaignaient de malaises, d’autres tombaient inanimés, d’autres encore conservaient des séquelles beaucoup plus graves et, on s’en doute, le taux de mortalité chez les scaphandriers était très élevé.

La première explication avancée à ce phénomène était, bien sûr, d’origine divine. Les dieux de la mer (Neptune et ses acolytes) voulaient se venger de ces inconscients qui venaient violer leur territoire…

Mais les scientifiques de l’époque, intéressés par cette énigme, se sont penchés sur le problème. Pour eux, Neptune était innocent et il devait se passer quelque chose dans le corps humain. Et à ce niveau, le seul élément qui différait par rapport au métabolisme normal (à l’air libre) était la pression. Ainsi vit le jour la loi physique de Henry : « à température donnée, la quantité de gaz dissous à saturation dans un liquide est proportionnelle à la pression que ce gaz exerce sur le liquide ».

A ce niveau, à la fin du XIXe siècle, deux savants se distinguèrent par le résultat de leurs recherches. L’un, français, Paul Bert, physiologiste spécialisé dans les problèmes respiratoires, fut le premier à préconiser une remontée lente. C’est ainsi que les scaphandriers qui remontaient vers la surface, s’ils étaient pris d’un malaise, étaient réimmergés immédiatement, puis remontés très lentement. On s’apercevait alors que les symptômes disparaissaient.

Le deuxième savant était anglais. John Scott Haldane, physiologiste écossais spécialisé dans la respiration, effectuait des recherches à peu près semblables à Paul Bert et était vivement intéressé par les problèmes des scaphandriers. Prenant de vitesse le Français, Haldane fut le premier à mettre au point les premières tables de décompression. Celles-ci préconisaient, outre la remontée lente, d’effectuer des paliers à certaines profondeurs pour laisser le temps à l’organisme d’évacuer l’azote dont il s’était saturé au cours de la plongée.

L’équation d’Haldane s’appuie sur la Loi de Henry. Haldane fabriqua un appareil de décompression pour faciliter l’aide aux plongeurs profonds et établit, pour la Royal Navy en 1907, des procédures de décompression pour la plongée à l’air jusqu’à 200 pieds, soit 65 mètres.

Pourquoi des paliers tous les 3 mètres ?

C’est la deuxième question la plus souvent posée. Bien que cette pratique paraisse particulièrement mystérieuse, sa réponse est désarmante de simplicité.

Pourquoi Haldane, mettant en évidence la nécessité de faire des paliers et déterminant les premières tables, a-t-il donné des profondeurs allant de 3 mètres en 3 mètres ? Est-il arrivé à cette échelle par de savants calculs de saturation, voire de sur-saturation, de capacité cellulaire ou encore de vitesse de dégazage ? Que nenni ! La seule réponse à cette question est uniquement… la facilité de calcul (enfin, pour lui…). Comme il n’existait aucun élément précis sur les profondeurs à respecter au cours des paliers et qu’il fallait bien une base de départ, Haldane, en bon Anglais, prit pour faciliter les calculs, des chiffres ronds. Mais dans le système impérial. Ce qui a donné 10 pieds (environ 3m), 20 pieds (environ 6m), 30 pieds (environ 9m). Avouez que c’est plus facile, pour faire les calculs, d’utiliser des multiples de 10 !

En clair, le fait d’effectuer des paliers tous les 3 mètres n’a aucune raison scientifique ni physiologique, c’est uniquement une question de simplification des calculs. Si le Français Paul Bert avait réussi le premier à élaborer ses tables de décompression, sans aucun doute effectuerions-nous aujourd’hui nos paliers à 5m, 10m,15m, ou au contraire tous les mètres, tous les 2 mètres, allez savoir…

Il n’y a en fait aucune règle précise pour les profondeurs des paliers et il est possible de calculer une décompression centimètre par centimètre si cela vous chante. Et si de tels calculs ne sont pas faits, c’est uniquement pour des raisons d’ordre pratique (en théorie les ordinateurs nouvelle génération devraient être capables de faire de tels calculs, en fonction de leur programmation). D’une part, les calculs déjà impressionnants pour les tables « classiques », seraient à recommencer à chaque centimètre de remontée… Vous imaginez ce que cela donnerait pour une remontée de 60 mètres ou plus ! (Signalons au passage que les logiciels de calcul de décompression utilisés fréquemment par les plongeurs Tek sont eux, capables d’élaborer des décompressions mètre par mètre, avec plusieurs gaz programmables).

La deuxième raison est qu’il serait très difficile de respecter des hauteurs de paliers trop précises dans une mer en mouvement avec la houle, les vagues et les courants. Il vaut mieux garder des paliers un peu plus espacés mais comprenant des marges de sécurité.

En tout cas, on peut dire que Paul Bert avait raison dans sa démarche et qu’il était plus près de la vérité que l’Anglais (cocorico !), car à calculer une décompression centimètre par centimètre, on arrivait finalement à effectuer… une remontée lente !

On peut d’ailleurs constater que les tables de décompression actuelles ainsi que les algorithmes utilisés pour le calcul des ordinateurs de plongée, utilisent des vitesses de remontée beaucoup plus lentes que naguère. Dans les années 1960, les tables de l’époque préconisaient une remontée à 20 mètres par minute avec les GERS 65. Par la suite, cette vitesse est passée à 17 mètres par minutes puis à 15 mètres par minutes avec les MN 90. Les tables Buhlman préconisent quant à elles une vitesse de 12 mètres par minute, alors que le Ministère du Travail préférait laisser une marge, entre 9 et 15 mètres par minute (la Table Ministère du Travail étant basée pour les calculs sur 12 mètres par minute). Actuellement, certains algorithmes implantés dans les ordinateurs de plongée se basent sur une vitesse de 8 mètres par minute.

Il est vrai que de nombreux accidents sont dus à un dégazage dans les tissus rapides (sang, muscles). Ces accidents sont dus essentiellement à une vitesse de remontée trop élevée.

A la profondeur du palier, c’est la tête ou les pieds ?

L’autre question inévitable à laquelle sont confrontés tous les encadrants concerne la profondeur à laquelle doit se trouver le plongeur lorsqu’il effectue son palier. Certains affirment que 3 mètres, c’est bien et seulement 3 mètres et que l’on doit se tenir exactement à cette profondeur. Soit, mais un plongeur de stature normale, variant entre 1,6 et 1,8 mètre, quelle partie du corps placer à 3 mètres ? La tête ? Les pieds ? Doit-on se tenir parfaitement horizontal pour être sûr que toutes les parties du corps sont bien à 3 mètres ?

En fait, là aussi, la solution est plus simple. La profondeur du palier est toujours approximative. Déjà, lors de la conversion des pieds en mètres, on arrondit les chiffres pour simplifier les calculs. Le chiffre n’est donc pas rigoureusement exact. De plus, il n’est pas possible de placer toutes les parties du corps à la profondeur exacte du palier. Et tous les plongeurs qui ont eu à tenir un jour un palier dans une mer agitée connaissent le problème de pouvoir se tenir exactement à une profondeur déterminée dans une eau en mouvement. Alors, ces 3 mètres, ils doivent être déterminés à partir du sommet de la vague, ou bien à partir du creux de la vague ?… Car au moment où la vague passe au-dessus du plongeur, celui-ci va se retrouver à 4 mètres, alors que dans le creux on n’est plus qu’à 2 mètres…

Partant du principe que la décompression pourrait être calculée tous les centimètres, les profondeurs données des paliers ne sont que des moyennes. Bien sûr, si l’on prend comme base de calcul 3 mètres, il faut dans la pratique en rester aussi près que possible afin que les différents paramètres soient respectés. Mais quelquefois, surtout pour le palier de 3 mètres qui se passe dans la zone de turbulence des vagues, il vaut mieux se trouver un peu plus profond (entre 3 et 4 mètres) afin d’être plus stable et de ne pas faire surface intempestivement au passage d’une vague plus forte que les autres.

Signalons à ce sujet que certains organismes de plongée professionnels, qui se sont prêtés il y a quelques années à des expériences sur les profondeurs de décompression sous la surveillance de médecins hyperbares, ont pu mettre en évidence un fait intéressant : la zone comprise entre la surface et 7 mètres de profondeur est sans risque au niveau de la saturation des tissus et on n’a jamais relevé d’accident de décompression dans cet espace. Les professionnels en question ont donc effectué pendant plusieurs années, soit plusieurs dizaines de milliers de plongées, l’expérience suivante : partant de la table MN 90 (il était plus facile de faire cette expérience à partir de tables plutôt que d’un ordinateur de plongée), lors de la remontée de plongées aux paramètres variables, ils effectuaient tous leurs paliers profonds normalement, jusqu’à celui de 6 mètres. Par contre, ils effectuaient la durée du palier initialement prévu à 3 mètres, à une profondeur comprise entre 5 et 6 mètres. Ils ont alors constaté que, placés en-dehors des turbulences de la surface, ils étaient beaucoup plus stables. De plus, à la sortie de la plongée, ils se sentaient en meilleure forme physique. Durant ces dizaines de milliers de plongées, aucun accident de décompression n’a été à déplorer et les examens au Doppler effectués à la sortie de l’eau de chaque plongeur n’ont pas permis de déceler de dégazage plus important que la normale.

Comment se calcule et s’expérimente un algorithme de décompression ?

Aujourd’hui, de nombreux logiciels permettent de calculer la décompression, y compris dans les ordinateurs de plongée dont les algorithmes sont basés sur des tables reconnues, comme les Buhlman ou les RGBM. Néanmoins, le plongeur doit tenir compte (voire même intégrer dans la programmation de son ordinateur) de certains éléments que ne peut pas connaître la machine : son expérience en plongée, sa forme physique, son état de stress, sa morphologie personnelle, sa fatigue éventuelle. Aussi existe-t-il dans toutes les tables, une certaine marge de sécurité.

Il faut dire que les « antiques » tables GERS 65, utilisées par l’ancienne génération de plongeurs (avant les MN 90), frôlaient les limites de la sécurité, et pour cause : elles avaient été calculées par la Marine Nationale, pour de jeunes militaires de 20 ans, sportifs, en pleine forme physique, bien entraînés et au moral de fer. Tout le contraire de nos actuels plongeurs de loisir !

On y trouvait, outre une vitesse de remontée entre 17 et 20 mètres par minute, une courbe de sécurité très « permissive » : on pouvait y faire 30 minutes de plongée à 30 mètres sans avoir à faire de palier, ou encore 20 minutes à 40 mètres et jusqu’à 5 minutes à 80 mètres !

Par la suite, les mêmes tables ont été utilisées par le grand public, sédentaire, peu voire pas du tout sportif (sauf devant la télé…), avec une forme physique déplorable et des bourrelets non négligeables. Bref, les tables, calculées au plus juste pour les jeunes militaires, ne convenaient pas du tout à la plongée de loisir. Les tables MN 90 ont ensuite été élaborées en tenant compte de cette différence de population. Elles bénéficient donc d’une plus grande marge de sécurité et peuvent être utilisées sans risque en plongée de loisir.

Mais ne vous avisez pas de calculer vous-même vos propres tables de plongée en partant des équations de la loi d’Henry et de la formule d’Haldane (hormis les logiciels élaborés spécialement à cet effet), car vous iriez tout droit à l’accident. Sachez que dans la réalité, la loi d’Henry appliquée à la plongée est faussée : en effet, elle n’est vraie que dans le cas d’un « gaz parfait appliqué sur un liquide parfait ». Hors, dans le corps humain, rien n’est parfait (désolé Mesdames, vous non plus n’êtes pas parfaites…) : l’air respiré est un mélange de gaz aux caractéristiques très différentes et le corps est constitué d’une multitude d’éléments. Le sang lui-même est une véritable soupe aux ingrédients variés…

Le calcul mathématique d’une table de décompression doit toujours être suivi d’une longue série d’expérimentations, basées sur plusieurs dizaines de milliers de plongées. Des modifications sont alors apportées en réponse aux différentes constatations physiologiques obtenues et les tables définitives n’ont en fait plus grand-chose en commun avec la formule mathématique d’origine…

Comment utiliser au mieux l’ordinateur de plongée ?

Aujourd’hui, les différents ordinateurs de plongée qui ont largement remplacé les anciennes tables, sont toujours basés sur les mêmes algorithmes mais ils prennent en compte un plus grand nombre de données concernant les conditions de plongée, voire même du plongeur lui-même. Selon qu’ils sont basés sur les calculs de Buhlman ou RGBM, les profils de décompression peut différer légèrement, sans pour autant entraîner de problèmes de coordination au niveau des palanquées. Ainsi certains ordinateurs ne font qu’utiliser les tables dûment éprouvées et validées comme les tables Buhlman, à 12 ou 16 compartiments (tissus de différentes durées de décompressions utilisés comme base de calcul). Comme ils sont basés sur les principes hérités des travaux de nos physiologistes des origines, on les appelle les modèles Haldaniens. La nouvelle génération d’ordinateurs utilise de plus en plus les modèles non-Haldaniens, dits « modèles VPM » (varying Permeability Models – modèles à perméabilité variable). Ces modèles tiennent compte, outre l’hypothèse de départ de la saturation des tissus, de la composition de l’air alvéolaire, de l’état des vaisseaux sanguins, du froid, du stress, de la progression de la saturation et le plus important, de la circulation des microbulles d’azote dissous lors de la saturation et qui se promènent dans la circulation sanguine (tous les plongeurs, dès lors qu’ils respirent des gaz sous pression dans un environnement hyperbare, subissent l’absorption d’une partie des gaz respirés qui vont se stocker dans l’organisme sous forme de microbulles. Ce phénomène est absolument normal et sans conséquence en plongée de loisir, dès lors que l’on respecte une vitesse de remontée et des paliers de façon à permettre à ces microbulles circulantes d’être évacuées vers les poumons et le phénomène d’expiration avant qu’elles ne grossissent par la diminution de la pression ambiante). Les modèles VPM sont particulièrement développés dans le domaine de la plongée Tek, mais ils sont de plus en plus utilisés dans les nouveaux ordinateurs de plongée de loisir qui sont prévus pour des utilisations mixtes loisir/tek. On peut ainsi trouver dans une palanquée des plongeurs dont les ordinateurs vont préconiser un classique palier à 3 mètres, quand d’autres vont voir s’afficher un palier préalable d’une minute à la mi-profondeur. Ces légères différences n’ont pas d’incidence notable, si ce n’est que le reste de la palanquée devra attendre celui qui reste bloqué pendant une minute à mi-profondeur. Mais n’ayez crainte, si votre ordinateur ne prévoyait pas cette minute supplémentaire, le fait d’attendre votre coéquipier va être intégré dans le calcul de votre appareil, qui sera toujours à même de vous proposer la procédure de décompression la plus adaptée à votre immersion.

Il serait bienvenu que dans les formations aux différents niveaux de plongeurs, même si l’on continue à aborder l’élaboration des tables de décompression pour une meilleure compréhension du phénomène, l’on puisse développer une formation plus poussée au fonctionnement et à l’utilisation, voire l’optimisation, des ordinateurs de plongée, notamment pour ce qui concerne les différents paramètres programmables. Car un ordinateur de plongée, ce n’est pas seulement l’affichage de la profondeur, du temps de plongée et de la durée des paliers, c’est aussi la prise en compte d’un grand nombre de paramètres programmable pour optimiser au mieux la décompression de chaque plongeur. Ces fonctions existent et sont prévues dans la fabrication des ordinateurs de plongée, autant apprendre à les utiliser !

Paul Poivert

2 COMMENTS

  1. Juste un petit peu d’histoire…
    les premiers “accidents” reconnus comme dus au travail dans un milieu “de gaz comprimé” furent ceux des “tubistes” bien avant les “casques lourds” en effet ils travaillaient a la construction de fondations sous marines fluviales , piles de ponts généralement, sous un “cloches”(les premières cloches de plongée) qui avait la dimension de l’ouvrage en bois que l’on posait sur le fond puis en acier dont on maintenant le niveau d’eau au plus bas grâce a l’injection d’air comrprimé ..Les ouvrier sortaient de ces “cloche” avec des douleurs violentes et malaises qui menaient souvent a la mort (1864).C’est le Francais Triger qui le premier invente le caisson de décompression , a la suite de nombreux morts sur des chantier il compris la nécessite d’un “déclusement progressif” , puis Paul Bert compris comment l’azote se dissout dans le sang puis libère des micro bulles si la décompression est rapide.
    Enfin je confirme que les tables GERS etait étalonnées pour des “sportifs”..mais aussi a l’époque (la mienne dans les années 60/70) la bouteille “mono” avait une autonomie qui correspondait pile poil aux durées de plongée sans palier ! A mon souvenir il y avait peu d’accidents de décompression ..(sauf chez les corailleurs qui faisaient un peu n’importe quoi, et aussi les plongeurs qui effectuaient des plongées successives ..) hormis sans doute chez les pieds lourds, mais je n’ai pas de statistiques la dessus.

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