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Par Dominique Sérafini – Peintures de l’Artiste – Photos sous-marines de Catherine Salisbury – Photo d’ouverture : le Roraima

Les plongeurs rêvent de trésors engloutis, d’or, de diamants dissimulés dans les épaves… Comme eux bien sûr, Dominique Sérafini, le dessinateur des BD de la Calypso, a rêvé aussi de trouver un jour dans la carcasse d’un galion des lingots, des ducats, des doublons, pour se payer un beau bateau, une belle auto et pour cela, il a enchaîné les plongées autour du monde ; mais il a trouvé au cours de sa vie bien d’autres trésors sous le miroir mouvant de la mer… Il nous raconte sa “Belle Histoire”.

Voir la galerie des œuvres de l’artiste en fin d’article (cliquer sur les images pour les agrandir).

Un jeudi en 1956, mes parents m’ont offert un spectacle inoubliable, ils ne se doutaient pas que ce billet de cinéma allait changer la vie du petit garçon de 10 ans que j’étais. Dans la salle du grand Rex de Paris, j’ai vu sur un écran géant apparaître des hommes-poissons et la vue de ces premiers plongeurs portant des torches sous la mer a marqué mon imagination. Le titre du film : Le monde du silence…  

A cette époque il n’y avait pas encore Discovery Channel ni Ushuaya… Les postes de télévision en France étaient rares et les programmes en noir et blanc ne présentaient pas d’images sous-marines. Impossible d’aller plonger en mer rouge, aux Maldives… Le monde de la plongée de loisirs n’existait pas encore. Le Commandant Cousteau était le seul à offrir le spectacle du monde sous-marin en couleur aux “terriens” ébahis. Ces images exceptionnelles tournées dans un univers liquide où il était possible de voler parmi les coraux, de jouer avec les tortues, de croiser des requins, ont bouleversé ma vie et celle de quelques autres victimes du “syndrome Cousteau”.  

Les plongeurs de la Calypso

Le petit parisien que j’étais, qui ne connaissait que les berges de la Seine, a décidé de tout faire pour faire partie de cette équipe et pouvoir un jour monter sur le pont de ce bateau blanc, la Calypso. Sans douter un instant de mon destin je décidai de mettre tout en oeuvre pour faire partie de cette aventure. Pendant plusieurs années, j’ai poursuivi le Commandant Cousteau de conférences en conférences pour lui montrer mes dessins, croquant à l’encre de chine des plongeurs, des poissons, esquisses maladroites, qui ont finalement retenu son attention. 

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Dominique Sérafini en plongée – © Catherine Salisbury

Aujourd’hui le petit garçon a grandi, vieilli, j’ai trempé mes palmes un peu partout, j’ai rencontré des requins, des mantas et toutes sortes de bestioles qui nagent. Après tant d’années j’ai finalement réalisé mon projet et créé la série d’albums de bandes dessinées, 17 volumes qui ont connu un joli succès, mais après la mort du Commandant, ils ont subi le même sort que la Calypso qui a terminé ses ballades pillée, abandonnée, trahie, avant que cette collection de bandes dessinées renaisse tout récemment en même temps que de nouvelles publications. Pourquoi une telle fin pour l’équipe Cousteau, me demandent mes amis. La réponse est complexe…  

Pour réaliser la série de bandes dessinées sur l’aventure de la Calypso, j’avais enfin réussi à convaincre le Commandant Cousteau de m’embarquer avec mes carnets de croquis pour saisir sur le vif la vie de l équipe. Dans mon coeur je garde le souvenir de mes premiers instants à bord de Calypso, l’accueil amical de Bebert Falco et celui très chaleureux de “la Bergère”, l’épouse du Commandant, qui rappelait avec humour : “je suis la seule femme de marin qui attende le retour de son mari à bord !” 

A cette époque en 1980, Cousteau avait 70 ans, il venait de perdre son fils Philippe dans un accident d’avion, mais malgré cette tragédie, il avait conservé une énergie de jeune homme. Le regard brillant, le sourire malicieux, il donnait l’impression avec son épouse Simone son fils Jean Michel, ainsi que ses amis Bebert Falco, Guy Jouas, Jean-Marie France, Dominique Arrieu et tous les membres de son équipe, de posséder un secret. Il devait y avoir une formule magique à bord, une potion contre la morosité, le découragement, la fatigue des années, le bateau était vieux, il faisait l’eau, sa coque craquait, les plongées étaient difficiles, la vie à bord n’avait rien à voir avec un “live aboard”, mais porté par l’énergie et la passion de l’équipe, l’ancien dragueur de mines affrontait les tempêtes de glace du Canada, les typhons du pacifique et traçait vaillamment sa route contre vents et marées, comme son pacha au profil de brise glace, pour rapporter sa moisson d’images. 

Voir cet homme âgé, fragile, sauter dans un zodiac en pleine mer au large des Marquises, nager, filmer, résister au mal de mer, quelle leçon pour moi ! 

Hélas, derrière cette image sur pellicule de l’infatigable et fantastique Commandant Cousteau se cachait un autre homme. Un homme sensible aux flatteries, aux honneurs, cachant sans doute des blessures, des rancunes secrètes, en fait un homme fragile comme tous les êtres humains. 

Les anciens de l’équipe étaient très discrets sur la vie personnelle du Commandant, ses absences mystérieuses entre deux avions, sa réputation de redoutable séducteur, glanant ici et là des aventures sentimentales. Les fidèles de Calypso essayaient de protéger la Bergère son épouse, des rumeurs portées par le vent. Même son fils Jean Michel ignorait la double vie de son père et l’existence d’une famille secrète. Comme lui, un jour j’ai découvert le secret que Cousteau dissimulait si bien malgré sa célébrité. 

Requin taureau

Peu après la mort de son épouse, le pacha m’a invité au restaurant et là, autour de délicieux plats chinois, j’ai fait connaissance de la femme qu’il aimait secrètement, qui allait devenir Francine Cousteau, une hôtesse de l’air d’Air France, avec qui il avait eu deux enfants. Respectueux de la vie privée du Pacha, je n’ai pas essayé de connaître les secrets de sa liaison, mais je n’ai pas imaginé à quel point cette rencontre allait bouleverser ma vie professionnelle et personnelle. 

Peu après cette rencontre, Francine a pris en main la destinée de l’équipe Cousteau et l’atmosphère au sein de l’équipe a rapidement changé. Terminés les repas autour d’une bonne bouteille de Bordeaux pour régler les problèmes entre amis ou lancer une nouvelle expédition, malgré le manque de financement. Simples problèmes d’intendance, comme disait le Pacha en éclatant de rire . Une nouvelle époque commençait et j’ai préféré m’éloigner. 

Dauphins

Une dernière fois, je suis venu à Paris pour le rencontrer et parler de la suite de la série d’albums. Mauvaise surprise, digicode et cerbère montant la garde à l’entrée des bureaux… Malgré un refus de la part de la secrétaire de Francine, j’ai réussi à forcer le barrage qui isolait le vieux pacha. Je l’ai trouvé seul, isolé dans son bureau au dernier étage de l’immeuble bourgeois près de l’étoile, qui désormais abritait les bureaux de l’équipe. Pendant une heure, nous avons réussi à bavarder comme deux amis, évoquant nos souvenirs et ses projets pour construire une nouvelle Calypso 2. 

Sous-marin

Dans un coin de son bureau, sous le regard du général Cambronne, son accordéon, rescapé du naufrage de Calypso était silencieux, la main fine aux veines bleues de JYC ne presserait plus jamais les touches de nacre. Pour la première fois après 15 ans de travail commun, il m’a donné l’impression d’être épuisé, perdu loin de ses amis fidèles, de son bateau coulé, de son fils Jean Michel, il avait perdu son énergie légendaire. 

Epave

Soudain la porte s’est ouverte, l’arrivée de Francine Cousteau a brisé le charme et interrompu brutalement notre conversation. 

Je n’ai plus revu le Pacha après cette entrevue. Quelques mois plus tard il disparaissait à la suite d’une longue hospitalisation. 

Obsèques grandioses à Notre Dame de Paris, étrange cérémonie pour un homme qui se réclamait agnostique, allocution du Président Chirac devant une famille déja déchirée par des luttes pour le pouvoir. Bien des choses m’ont parues étranges et comme d’autres amis de Calypso, j’ai tourné la page pour essayer de garder le meilleur de mes souvenirs. 

Dominique Sérafini sur l’épave du Nahoon – © Catherine Salisbury

Désormais je ne fait plus partie de l’équipe Cousteau, comme la plupart des anciens de la vieille garde j’ai été écarté sans ménagement et j’ai repris le cours de ma vie. A bord d’un vieux voilier, je navigue aux Caraïbes, plonge et retrempe mes pinceaux dans l’eau de mer loin des luttes juridiques qui agitent les clans de la famille Cousteau. Pour me laver de ma nostalgie, je goûte au bonheur simple, mais toujours renouvelé des plongées profondes, sans doute à la limite du raisonnable mais toujours excitantes. Pas de matériel tech, un bi-bouteille, un profondimètre, une table de plongée, ma vieille combinaison, un gilet pour sacrifier aux exigences de la “technologicocratie subaquatique” et surtout la paire de gant de Cousteau, un souvenir offert un jour à bord de Calypso aux îles Marquises. 

Le Windjammer

Je me suis installé à Bonaire, après avoir découvert l’épave fascinante de l’un des derniers trois mats métallique dont la coque repose par 60m de fond, Le Windjammer. La vision fantomatique de ce voilier m’a inspiré une série de peintures d’épaves. C’est a cette occasion que j’ai rencontré mon amie Catherine Salisbury, plongeuse et photographe Canadienne exceptionnelle. Ensemble nous avons créé un livre qui a inspiré la série Dream Wrecks pour la télévision canadienne. Nous avons plongé sur les plus belles épaves de la mer des Caraïbes. 

Par 60, 70m de fond, et parfois un brin plus. je glisse au pied des tombants verticaux de Bonaire ou Curaçao, ou de l’archipel des Tuamotus dans les canyons, les grottes, les épaves. J’emporte ma planche de croquis, un crayon et dans le bleu sombre, grisé par la narcose, je dessine les silhouettes mouvantes des poissons, les structures des épaves afin d’en imprégner ma mémoire avant de remonter vers la lumière et finir mes peintures à bord du voilier. 

Les épaves de Saint-Pierre en Martinique

Avec les défenseurs de l’environnement marin comme  Paul Watson (Sea Shepherd), Jean-Michel Cousteau (Ocean Futures) et Patrick Deixonne (Expédition 7e Continent), j’ai realisé de nouvelles bande-dessinées écologiques dans la tradition des aventures scientifiques que m’avait inspirées Jacques Yves Cousteau.

Il parait que tout cela n’est pas très raisonnable, qu’il serait temps de changer de vie, de devenir enfin sérieux, si je veux être admis à la maison de retraite des mistralopithèques…

“A l’artiste sous-marin : l’oeil de Dominique SERAFINI est aussi magique qu’une super lentille d’un appareil numérique, capable de capturer en un éclair les plus belles images que notre planète bleue a su créer sous la mer. En effet, ses peintures pleines de vérités, de décors fabuleux, de couleurs et de mouvements réels, apportent le rêve aux amoureux de la mer.” – Albert FALCO

Mon seul but est de faire partager à travers mes peintures et dessins le charme troublant qui se dégage de ces sites engloutis. Parfois dans une exposition un amateur passionné achète une toile, une reproduction, un dessin original, apportant ainsi quelque réconfort à la caisse du bord. J’essaye par mes dessins, peintures et bande-dessinée de partager ce monde fascinant avec les enfants pour les inciter à le respecter et le défendre. 

Le Nahoon

Ancien étudiant de l’Ecole des Beaux Arts, en mai 1968, je crois hélas être resté un éternel utopiste, un rêveur éveillé qui croit encore à l’écologie et tous ces trucs démodés. Comme l’ami Brassens je suis un fossile, technophobe et définitivement allergique à la société de marketing qui commence a envahir les derniers coins peinards de la planète, et même le monde de la plongée. Il parait que c’est très grave, mais c’est trop tard pour changer, alors tant pis pour moi, je laisse aux jeunes loups de la plongée techno, les nouveaux équipements, les profils de plongée aux mélanges, je reste fidèle au bon vieux nitrox 20/80 (l’air) si bon à déguster sous pression pour s envoyer en l’air.

La valse des dauphins

Les victimes du stress, les accros des antidépresseurs devraient essayer l’air sous pression, amis plongeurs, laissez vos angoisses, vos téléphones portables, vos carnets de plongée électroniques, vos ennuis en surface. Glissez dans le bleu profond, sans but, juste pour faire des belles bulles, pour quelques instants de plaisir, détendez-vous, sans caméra ni ordinateur. Respirez profondément, régalez-vous, l’air du Bon Dieu au-delà de 60 m, a le goût d’un bon vieux Bordeaux comme nous en buvions à bord de la CALYPSO… Croyez moi le bonheur est sous la mer ! 

A la suite des aventures de la Calypso, Dominique Sérafini s’est lancé dans la réalisation d’albums sur des thèmes qui lui sont chers, comme les épaves mythiques ou bien la protection du milieu marin. Plusieurs bandes dessinées sont nées, comme L’escale infernale, qui conte l’histoire de l’éruption du volcan de la Martinique qui causa le naufrage de nombreux navires dans la baie de Saint-Pierre, d’autre encore sur Les orques, les esprits de la mer, Le Monstre de plastique qui traite du problème de la pollution, Mission Antarctique réalisé en collaboration avec l’association écologiste Sea Shepherd et enfin son plus récent, sorti tout récemment : le bulles de la Calypso. Ce beau livre cartonné de 48 pages est un cocktail d’images, photos et peintures qui resume 60 années de la vie de l’artiste plongeur Dominique Serafini. Un ouvrage qui trouvera sa place dans la bibliothèque de tous les plongeurs.

Pour consulter le site internet de Dominique Sérafini : http://www.dominiqueserafini.com

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