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Texte et photos Myriam Dupuis

Qui n’a jamais rêvé d’une rencontre avec une baleine, les yeux dans les yeux, et se laisser envahir par la magie d’un moment partagé avec une maman qui apprend à nager à son baleineau, avec une infinie douceur et avec un sentiment de paix que ne laisse personne indifférent ? C’est ce qu’a vécu Myriam Dupuis, fondatrice de l’association Tendua qui œuvre à la préservation de la biodiversité…

J’ai longuement rêvé de ce voyage au bout du monde : Rurutu, 22°26’ de latitude Sud, 151°21’ de longitude Ouest, une île presque perdue de l’Archipel des Australes en Polynésie Française. C’est l’interview de Yves Lefèvre, biologiste marin et spécialiste de la faune polynésienne, qui m’a donné envie de partir à la découverte des baleines à bosses, Megaptera novaeangliae, ces géantes mystérieuses et imposantes de l’Hémisphère Sud.

Elle souffle ! – © Myriam Dupuis

J’atterris à Rurutu, après un Paris-Los Angeles-Papeete de presque 24h, suivi d’une brève escale de 4 heures à Tahiti, avant de reprendre un avion partant pour les Australes : Tubuai, puis Rurutu (1h30 de vol). Nager avec les baleines à bosses se mérite…

L’accueil est assuré par l’équipe du Rurutu Lodge. Tout de suite, le ton est donné : les baleines sont là, plusieurs mères ont mis bas et elles prennent soin de leur baleineau avant de reprendre la route vers le Pôle Sud. L’une d’elle permet même que l’on s’approche au plus près. Malheureusement, l’arrivée en fin d’après-midi ne permet pas de mise à l’eau. Il faudra attendre le lendemain. Enfin, pas tout à fait car depuis la plage du Rurutu Lodge, ça y est, je le vois à l’horizon : le souffle de la baleine, un petit geyser au-dessus de sa tête ! Je n’imaginais pas que cela soit visible d’aussi loin ! Je fais un vœu : qu’elles soient là demain et que l’on puisse s’en approcher…

Cette baleine, nommée Motu, est facilement reconnaissable à sa nageoire dorsale abîmée – © Myriam Dupuis

Pas de problème pour se réveiller à l’aube, entre l’excitation de cette rencontre pour laquelle j’ai parcouru la moitié du globe et le décalage horaire (+12 h). Petit-déjeuner au Rurutu Lodge avec des fruits frais (délicieuse papaye au citron vert cueillis dans le jardin) et des confitures de pamplemousse au gingembre faites maison. Tout le monde est prêt à l’heure avec ses palmes, masque et tuba. Pas de plongée bouteille car les baleines fuient les bulles qui les dérangent. Le ramassage matinal est assuré avec le Land Rover du Raie Manta Club qui récupère, dans les différentes pensions de l’île, ceux qui, comme moi, espèrent bien concrétiser leur rêve de baleine. Je vais enfin pouvoir tester tout cet équipement de photo que je transporte consciencieusement depuis Paris : un Nikon et son caisson, très impressionnant.

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Ce matin, il y aura deux bateaux et nous partirons du port de Moeraï. Les bateaux sont polynésiens : des « poti marara », ce qui signifie « bateau volant ». Ils sont utilisés pour la pêche et sont équipés d’un poste de pilotage à l’avant, d’un moteur de 200CV pour 8 m de long environ et arborent des couleurs pimpantes. Nous faisons connaissance avec les capitaines qui assureront, à eux trois, nos sorties bi-quotidiennes.

Il y a beaucoup de vent, ce qui promet un peu de mer, mais il fait beau, à défaut de faire réellement chaud. Une combinaison de 5 mm, et pour les plus frileux, le capitaine met à disposition de vrais cirés jaunes de marin. Discussions entre marins et nos guides : on a vu les baleines ce matin du côté du belvédère, près de Moeraï justement. On monte à bord, 6 maximum par bateau, et nous voilà partis !

L’approche d’une baleine par les nageurs doit se faire dans le plus grand respect – © Myriam Dupuis

Yves s’assied en hauteur à l’avant à côté de Pierre et nous nous installons au mieux, scrutant déjà l’horizon pour apercevoir un souffle de baleine.

Les consignes données par Yves à notre départ sont simples : il n’est, bien sûr, pas question de sauter dans l’eau mais au contraire il s’agit de se laisser glisser le plus silencieusement possible du bateau dès qu’il nous en donne le signal, après avoir repéré l’animal et estimé que cela ne présentait aucun danger. Interdiction de se trouver à la queue de la baleine car celle-ci pouvant déployer la force d’un moteur de 500 CV, cela représente un véritable danger pour les minuscules plongeurs que nous sommes, sans compter que cela peut être ressenti comme une menace par l’animal. Chaque palanquée se mettra à l’eau à tour de rôle afin de déranger le moins possible la baleine. Reste à trouver l’animal…

Les embruns n’aident pas vraiment et les nuages qui s’amoncellent nous font croire que nous sommes plus en Bretagne que sous les Tropiques ! Une heure déjà vient de passer ; certains ont pâli à cause de la houle, tout le monde est mouillé… et tout à coup « BALEINE à bâbord! » ! – Où, où ? » et Yves de traduire en anglais, puis en japonais pour le couple qui nous accompagne. Ca y est, on la voit : elle est là, son baleineau juste à côté. Les bateaux se rapprochent avec beaucoup de précautions. Nous espérons tous que l’animal ne va pas sonder, mais non, elle reste là, presque placide, à une trentaine de mètres du bateau. Tout le monde photographie la maman et son petit qui, vus de notre embarcation, nous feraient plutôt penser à deux sous-marins en train d’émerger…Plus question de traîner : il faut chausser les palmes et les rejoindre. C’est une mère de 17m avec son baleineau qui doit avoir 3 semaines. Il mesure quand même presque 5 m et doit peser 1,5 tonnes. Yves nous précise qu’elle est arrivée à Rurutu depuis plusieurs semaines. Elle doit peser environ une vingtaine de tonnes. Au total, c’est 1/3 de son poids qu’elle aura perdu durant son voyage-jeûne dans les eaux plus chaudes de Polynésie jusqu’à son retour en Antarctique, où elle pourra enfin se régaler de krill.

La mère soutien son baleineau pour l’aider à respirer – © Myriam Dupuis

Le moment est venu ; j’enjambe le bastingage et essaie de me glisser au mieux dans l’eau à 22°C tendant le bras vers Pierre qui me passe le caisson. Je vais pouvoir m’adonner aux joies de la photo sous-marine et qui plus est, avec un modèle de choix ! Mais comment l’aborder ? Je me rends compte que mesurant à peine 1,60m, j’ai à faire à 10 fois plus grande que moi ! J’entends bien Yves me dire de nager à la tête de la baleine, mais je ne maîtrise pas encore parfaitement toutes les subtilités du déplacement en compagnie d’une baleine. Je dois reconnaître qu’elle est une merveilleuse ambassadrice du monde des mégaptères. Mes premières photos sont timides et respectent une distance additionnant la sécurité et une certaine crainte face à cette géante des mers. Puis je m’enhardis et je m’approche, le masque collé au viseur du caisson. Je ne suis plus qu’à 5 m d’elle. Son baleineau semble posé sur sa tête. C’est ainsi que cette mère attentive aide son petit à respirer. Il sera bientôt en mesure de faire des apnées de plusieurs minutes ; en attendant, maman est là. Il me semble ressentir toute la tendresse de cette mère pour son rejeton totalement dépendant d’elle. Du bout de son rostre, elle le pousse régulièrement vers la surface et accompagne son retour sous l’eau. Les nageoires pectorales du bébé mesurent déjà près d’1m, mais il ne sait visiblement pas encore s’en servir et elles pendent de chaque côté de son corps.

Le baleineau, soutenu par sa mère, apprend à utiliser ses grandes nageoires pectorales – © Myriam Dupuis

C’est un moment magique. Elle sait que nous sommes là, mais ne semble visiblement pas inquiète. Quel âge peut-elle avoir ? Combien de fois est-elle déjà venue à Rurutu pour donner naissance à la génération suivante ? Les marques sur son corps semblables à des trous sont dues aux morsures des squales qui remontent des profondeurs et attaquent les baleines en leur arrachant un morceau de peau, laissant ces vilaines et sans doute douloureuses cicatrices.

Nous avons la chance de nager autour d’eux pendant plus d’une heure. Cela crée des liens et c’est à regret que nous devons les quitter, mais beaucoup d’entre nous ont froid et il est temps de rentrer. Sur le chemin du retour, tout le monde exprime son émerveillement et l’excitation brille dans tous les yeux : il y a ceux qui ont eu peur, ceux qui se sont approchés au plus près, laissant à la baleine le soin de les éviter… J’ai pu observer la scène en question : un nageur téméraire (ou imprudent) s’est retrouvé tout près de sa nageoire pectorale qui mesure environ 3m. La baleine a su éviter de quelques centimètres ce nageur malhabile. Si elle n’avait pas fait preuve de cette dextérité, je pense que notre plongeur n’aurait pas fait le poids face à la pectorale…

© Myriam Dupuis

C’est un sentiment de joie profonde qui m’anime après ce moment de partage avec l’un des plus gros mammifères du monde. De la joie, mais aussi de l’émerveillement face à cette douceur, cette tendresse, cette harmonie qui émanent d’elle. Comment peut-on les tuer encore aujourd’hui ? Je n’ai qu’une envie : y retourner au plus vite. La pause-déjeuner est assez courte puisque nous repartons vers 13h45 pour la deuxième sortie de la journée.

Ceux qui étaient là ce matin sont au rendez-vous de l’après-midi, racontant aux nouveaux arrivants leur expérience inoubliable de la matinée. Tout le monde espère bien revoir cette baleine-là : on l’a appelée Motu car sa nageoire dorsale (qui permet, avec la caudale, l’identification chez les cétacés) est abîmée, comme si elle avait été mordue ou coupée. Il fait beau cet après-midi, la mer est calme et nous retrouvons Motu et son petit quasiment là où nous les avions laissés. Là encore, nous glissons dans l’eau à tour de rôle, bateau par bateau.

Une parfaite harmonie – © Myriam Dupuis

Quand notre tour arrive, je me sens plus à l’aise que ce matin. J’ai une idée en tête ; je ne sais pas si je pourrais ou si je saurais faire, mais c’est maintenant ou jamais : je veux photographier l’œil de la baleine. Motu a la gentillesse de ne pas beaucoup bouger. Je m’approche en palmant, la tête de Motu grossit dans mon viseur. Je ne suis plus qu’à un peu plus de deux mètres d’elle. Son œil est au centre de mon viseur, il est fermé. Très lentement, Motu ouvre son œil. Je ne pensais pas que les baleines battaient elles aussi des paupières… C’est là encore un sentiment de communion avec elle qui m’envahit et je me surprends à lui parler, comme si nous étions déjà des amies. Comment me voit-elle ? Je ne suis peut-être qu’un drôle de petit animal avec un œil énorme : le hublot du caisson !

On dit des humains que leur regard est le reflet de leur âme. Il m’a semblé, en regardant Motu dans l’œil, apercevoir chez elle l’âme de la Baleine…

L’œil de la baleine… – © Myriam Dupuis

Cet après-midi magique se termine après trois mises à l’eau pour chaque groupe. Nous sommes aux anges et en oublions notre fatigue. Vivement demain !

J’ai eu la chance de sortir en mer presque tous les jours, soit de Moeraï, soit d’Avera. J’ai vu comment notre baleineau apprenait à maîtriser ses pectorales et comme il s’émancipait de sa mère. Toutes ces sorties ont été magnifiques, chacune avec ses particularités et son lot d’aventures, certaines plus physiques que d’autres, notamment à cause des conditions météorologiques : pluie, vent, houle, creux de 3 m dès la sortie du port… Mais tous les rendez-vous ont été honorés et les baleines présentes. A ma dernière sortie en mer, elles m’ont offert un cadeau d’au revoir : deux mâles courtisaient une femelle avec moult bulles (rien à voir avec celles d’un détendeur…) et l’un d’eux s’est mis à la verticale au-dessus de sa dulcinée, à une vingtaine de mètres de profondeur et tout à coup, il s’est mis à chanter…

Jeux amoureux – © Myriam Dupuis

Mon séjour à Rurutu a duré 12 jours. J’ai pu découvrir les autres charmes de l’île et la luxuriance de sa végétation : café, mangues, ananas, taro (tubercule polynésien très apprécié localement), litchis, papayes, citrons, pamplemousses, oranges, piments, fleurs, tout y pousse. Quelques belles randonnées sont à faire que l’on termine parfois en voiture car les Rurutu s’arrêtent volontiers pour les auto-stoppeurs, et l’île est plus grande qu’elle n’y parait. C’est une nature rustique mais généreuse. J’espère bien que le vent me poussera de nouveau vers les eaux de Rurutu. C’est là que j’ai pu réaliser mon rêve de baleine : nager assez près d’elle pour plonger dans son regard…

Myriam Dupuis est la fondatrice et présidente de l’association Tendua, une équipe de bénévoles qui a pour vocation la sauvegarde de la biodiversité. Son but : faire prendre conscience à la société de ses actes et de leurs conséquences sur l’environnement. Myriam est photographe animalière terrestre et sous-marine, elle tire sa motivation des enseignements que lui apportent ses observations de la nature et n’a de cesse, depuis près de 15 ans, de partager ses émotions avec les personnes qui sont sensibles à la beauté de la nature. Elle reste convaincue que les richesses que nous offre la nature sont indispensables à notre équilibre.

Visitez le site Web de l’association Tendua : www.tendua.org

Myriam Dupuis publie aussi un blog dédié à la protection des requins, qui rassemble toutes les infos en provenance des quatre coins de la planête, concernant les requins et leur protection : www.protection-requins.org

l’arbre à baleines ou atae – © Myriam Dupuis

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