Par Serge Grispoux
Tout plongeur ayant trempé ses palmes en mer Rouge a déjà entendu parler des mythiques requins Longimanus que l’on peut admirer sur les sites du large. Mais on y trouve aussi une autre espèce de requin, seulement à certaines périodes de l’année : le Renard, caractéristique avec son immense nageoire caudale…
Ne vous inquiétez pas, je ne vais pas vous emmener dans les Highlands écossais, vêtu d’un kilt et suivi d’un fox-terrier, chasser maître Goupil. Nous allons plutôt nous diriger vers les eaux de la mer Rouge et essayer d’y observer le requin-renard (Alopias vulpinus) et quelques uns de ses congénères. En effet tous les ans vers début Décembre le célèbre plongeur-photographe Yves Lefèvre, celui qui a créé un célèbre centre de plongée à Rangiroa dans les Tuamotu, qui a ouvert aux plongeurs la réserve de Malpelo et avec qui j’ai plongé dans les affluents de du fleuve Orénoque en Amazonie, organise une semaine de plongée au large de l’Egypte consacrée à l’observation des requins. Nous partons d’Hurghada à bord de l’Odyssey, fleuron de la flotte Seafari : 40m de long, 8,50m de large, grande salle à manger, salons, vastes cabines individuellement climatisées, jacuzzi, le luxe quoi !
Je repense avec une pointe de nostalgie, aux bateaux que nous utilisions dans les années 80 : pas de douche ni de clim et 3 toilettes pour tout le monde ! Le temps passe… Nous sommes une vingtaine de plongeurs confirmés venu de France mais aussi de Belgique et de Suisse. Nous effectuerons 3 plongées par jour et tous les soirs, punch en main, nous assisterons à une projection de film sur les requins, la plongée au Soudan ou à Malpelo et sur la déforestation en Indonésie. Chaque film sera ensuite suivi par une conférence-discution animée par Yves qui nous fera ainsi bénéficier de sa vaste expérience de la mer, de la nature et des animaux qui y vivent.
Une nuit de navigation nous amène, à l’aube, aux Brothers Islands. Ces deux îlots, très au large, sont des hauts-lieux de la rencontre avec les pélagiques. J’y avais accompagné une équipe de plongeurs trimix sur le Numidia voici quelques années.
Nous sommes mouillés à la pointe Sud de Big Brother.Après un thé et le briefing nous sautons du bateau et descendons dans l’eau claire. Dans une quarantaine de mètres trois gros mamelons rocheux sont notre but. Nous nous regroupons au pied de l’un d’eux.Yves nous a bien spécifié de ne pas nous disperser : les requins sont peu impressionnés par un groupe compact alors qu’une ribambelle de plongeurs bullant dans tous les azimuts les effraie.
Nous attendons quelques minutes puis survient un requin renard. Il est splendide, bleuté avec une queue hétérocerque presque aussi longue que son corps. Il va et vient souplement et nous observe de ses gros yeux ronds, puis se rapproche un peu, confiant. Les flashs crépitent. Ces squales, de l’ordre des Lamniformes, sont des pélagiques d’une grande distribution (l’un a été aperçu en Bretagne Nord) et sont assez rarement observés mais nous sommes ici à la bonne saison et au bon endroit. Il nous faut enfin remonter et effectuer nos quinze minutes de palier. Certains sont déjà un peu juste en air : première plongée, émotion de la rencontre ?
L’après-midi nous partons en Zodiac et allons nous immerger sur l’incontournable Numidia. Je retrouve avec plaisir cette belle épave toute parée de coraux mous aux vives couleurs. Ce cargo britanique de 137m de long fut lancé en 1901 en Ecosse.Affreté par la Shipping Anchor Line C° il fit un premier voyage aux Indes. A son deuxième, l’homme de barre s’étant endormi à son poste, il s’écrasa à 2h du matin le 20 juillet pratiquement sous le phare de Big Brother. Il n’y eut pas de victime et le bateau resta fiché là plus de sept semaines, ce qui permit de récupérer la cargaison, puis il coula le long du tombant ou il repose entre 13 et 85m de profondeur. Nous longeons ensuite la côte et croisons deux requins gris qui ne s’attardent pas.
Le soir, avant le dîner, Yves nous passe un film sur Malpelo, ce bout de caillou planté dans le Pacifique à 36h de navigation de la Colombie. Cette projection me remémore les bancs de requins-marteaux et le requin-féroce (qui n’a de féroce que le nom) photographié par 70m de fond.
Le lendemain nous nous repositionnons comme la veille au matin. Nous sommes embusqués, bien groupés, derrière un mamelon et nous attendons. La mer semble vide.
Puis un, puis deux, puis trois requins renards apparaissent. Ils tournent autour d’un des mamelons. Nous nous approchons très doucement. Ils ne sont pas effarouchés. L’un d’eux a une caudale époustouflante : je suis sûr qu’elle est plus grande que son corps ! Il semblerait que ces immenses queues leur serviraient à assommer les petits poissons circulant en banc; mais cette forme de chasse n’a apparemment jamais été observée. Vers la fin de la plongée l’un s’approche un peu plus près : une aubaine pour les photographes ! Pendant la remontée deux barracudas curieux viennent nous tourner autour. Nous sommes restés longtemps dans les quarante mètre, résultat 24 mn de paliers! Mais ça en valait vraiment la peine.
Nous regagnons le bord et prenons le petit déjeuner. Le temps est splendide, pas un nuage et une mer d’huile. Le capitaine décide de rester au mouillage et c’est en pneumatique que nous faisons la traversée jusqu’à Little Brother. Nous nous immergeons à la pointe Est de l’île. Dès la mise à l’eau, Bruno, notre guide pour aujourd’hui, pique dans le bleu. Je le suis. Passé 50m un gros requin renard passe sous nous. L’auto-focus de mon appareil photo patine et je rate le cliché. Rageant ! Nous remontons en suivant le tombant. Un requin gris nous croise, celui là je le shoote ! Quatre plongeurs nous doublent. Ils sont tractés par des scooters mais n’ont pas d’équipements tekkies.
Nous replongeons l’après-midi sur la pointe Ouest de Little Brother. Le courant assez fort nous oblige à faire demi-tour pour le suivre. Le tombant est beau, beaucoup de corail noir et de poissons multicolores. En surface le soleil est déjà bas, le bateau a levé l’ancre et vient nous chercher. Nous partons tout de suite pour une navigation de nuit qui nous conduira à Daedalus.
Le réveil est à 5h40. Nous sommes devant Daedalus. Minuscule îlot émergeant du récif, surmonté d’un phare construit par les français en 1863 et flanqué de deux interminables wharfs en bois pour l‘accès au ravitaillement. Nous n’avons pas mouillé et dérivons lentement.Sitôt équipés, un saut droit du bateau et nous descendons dans le bleu. Stabilisation dans les quarante mètres puis nous palmons lentement vers le tombant Est. Yves nous fait signe: deux requins marteaux passent sous nous. Nous les rejoignons, mais il fait sombre et nous les distinguons mal pendant qu’ils s’éloignent.
Après le petit déjeuner nos partons en pneumatique vers la pointe Nord du récif. Pendant le trajet nous apercevons sous la surface un Longimanus ! Tous les plongeurs des deux embarcations basculent à l’eau. Il s’approche de nous à quelques mètres, précédé de trois poissons-pilotes. C’est un jeune qui mesure environ 1,80m. Fuselé comme une torpille, il nous tourne autour et s’éloigne. La rencontre n’a duré que quelques instants. Nous essayons de le suivre mais nous sommes dans le bleu, sans repère et le perdons très rapidement. Nous regagnons les pneumatiques et cap sur la pointe Nord comme prévu. Là, rien dans le bleu, sur le tombant un fort courant nous fait dériver. Nous revenons au bateau, le courant a encore forci et la remontée à bord est acrobatique surtout que les deux échelles sont assez mal conçues.
Au déjeuner, certains sont mécontents d’avoir si peu observé le Longimanus. Je les console en leur affirmant qu’à notre prochaine étape, Elphinstone, il ya deux mois nous en avons vu deux : un gros de 3m et, au palier, un plus jeune de 2m qui a semé la panique dans le groupe peu habitué à ce genre de rencontre. Sa curiosité lui a d’ailleurs valu un bon coup de mon appareil photo sur le museau pour l’éloigner. Nous en verrons donc certainement là bas.
La plongée de l’après-midi effectuée sur le tombant Sud par un fort courant nous fait juste croiser des barracudas et deux napoléons. A 18h Yves nous passe un film sur les requins ou l’on voit Jean-Michel Cousteau et ce phénomène d’André Hartmann qui jadis, en Afrique du Sud nous a fait plonger avec le Grand Blanc. Nous attendons le dîner quand soudain : Bang! Bang! Des coups répétés frappent la coque : le bateau talonne sur le récif ! Nous dérivions et le vent nous y a drossé. L’équipage dégage l’arrière en le poussant avec les pneumatiques et on sort de là au moteur non sans avoir endommagé une de nos deux hélices !
A l’aube le temps a changé : le vent s’est levé, les nuages roulent dans le ciel et il tombe même quelques gouttes. Nous retournons à la pointe Nord et descendons dans le bleu à la recherche des marteaux : rien. Nous tournons un bon moment et nous voyons, bien plus bas que nous, dans les 60m, un requin renard. Nous l’entr’apercevons une seconde fois rasant le fond.
A plus de trois heures d’intervalle nous re-retournons à la pointe Nord (têtus les plongeurs!). Rien dans le bleu mais en se rapprochant du récif un requin gris nous croise. Nous repartons vers le large et enfin un requin marteau passe sous nous.Il n’est pas trop profond et nous avons le plaisir de bien le détailler. Nous ne l’avons pas volé !
La dernière plongée à Daedalus ne nous apportera rien de plus si ce n’est au palier la rencontre avec une manta de taille moyenne, mais près de la surface, l’eau est un peu trouble et les photos s’en ressentiront. Au soir nous quittons le site. Il y a un peu de mer mais le roulis n’est guère gênant. Au réveil nous sommes à Elphinstone. Les vagues brisent assez fort sur le récif. Nous plongeons sur le plateau Sud.Avec Yves nous descendons à la pointe du plateau : rien. Nous suivons le tombant et revenons à la pointe : toujours rien. Nous allons sous le bateau, espèrant qu’un maraudeur y cherchera quelque nourriture : pas de requin. L’équipe de Bruno qui est allée vers l’arche est aussi bredouille que nous. Pas un requin aujourd’hui sur Elphinstone ! Et moi qui avait promis qu’ici nous verrions des Longimanus ! Je me fais tout petit…
Cette dernière plongée marque la fin de la croisière. Le bateau nous ramène à la marina toute neuve de Galeb. Dans la nuit trois heures de car nous déposent à Hurghada puis après quatre heures quarante de vol l’Airbus A330 atterrit dans la froideur de Roissy…