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L’évocation du métier de scaphandrier laisse toujours planer un parfum d’aventure et d’héroïsme… Mais derrière l’image d’Épinal, la réalité est plus nuancée. Les professionnels du secteur ont voulu faire le point sur les conditions dans lesquelles ce métier est exercé de nos jours. Une enquête sans artifice qui pose les bonnes questions et qui apporte des réponses sans concession.

Par Stephan Jacquet

A l’automne dernier, une vaste enquête a été lancée sur le métier de scaphandrier à l’échelle nationale… Les résultats de cette analyse ont été présentés au début de l’été 2018.

Avant de révéler les chiffres et autres statistiques, je crois qu’il est important de souligner l’implication et l’effort fourni par Xavier Deprey et ses camarades, qui se sont énormément investis pour faire de cette enquête un objet utile auprès de la profession mais aussi, je crois, des ministères de tutelle, et bien sûr de tout un chacun.

Ainsi, je me permets en guise de préambule de rappeler le pourquoi et le comment de l’enquête, qui rend à César ce qui est César.

Photo Collectif Scaphs

Xavier est parti d’un constat simple, motivant l’idée de l’enquête. Il me disait il y a quelques mois : «Personnellement, j’ai pas mal d’amis qui ont investi et se sont investis. Ils ont cru en cette profession, mais ils se sont usés, par des efforts au-delà des limites, pour aussi constater l’impossibilité de vivre de cette profession». Et de citer un triste bilan : «Sur 5 amis Scaphs, je constatais qu’un seul travaillait en permanence, un autre 1 mois sur 2, les autres se partageaient sur deux métiers ou abandonnaient». Vous verrez plus loin, que l’on est assez proche des résultats nationaux. Cette situation était pressentie, encore fallait-il le démontrer, chiffres à l’appui.

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La liste des membres du groupe Facebook  Scaphandriers France étant la base des contacts, Xavier les a quasiment tous répertoriés puis contactés de manière groupée mais aussi individuellement. Un travail de fourmi ! Car le nombre de contacts a été de 1135, tous joints individuellement. En considérant la moyenne d’une adhésion spontanée, rapide et massive du début de l’enquête, avec les relances successives, répétitives, associées à des parrainages d’amis des dernières semaines, on peut considérer qu’il a fallu 3 heures de travail par participant ! Au moment du bilan, au mois de mai 2018, Xavier comptabilisait 252 jours et 1250 heures de travail ! Chapeau bas pour un travail bénévole. Au final, ce sont 465 réponses qui ont été obtenues. On peut véritablement donc parler d’enquête. Et on verra plus loin qu’elle est représentative de la profession.

Photo Collectif Scaphs

Aussi, pour  une partie des scaphandriers ne répondant pas malgré de multiples sollicitations, Xavier a fait «évaluer» les scaphs actifs et ceux qui ne le sont plus, session par session, auprès de l’école ayant formé le plus grand nombre de scaphs ces 3 dernières années. A titre de comparaison, il a également sollicité quelques dizaines de scaphandriers européens, à qui a été adressé un questionnaire comportant 20 questions axées sur la fréquence du travail, la localisation du travail, la notion de précarité et de pénibilité, les revenus, la passion, etc… afin de comparer ce retour d’informations avec les scaphs Français.

Si la motivation première de l’enquête était à l’origine la «permanence du travail» il a paru utile et nécessaire de développer par la suite d’autres aspects résumables par les mots clefs suivants : confort, précarité, pénibilité, passion et le besoin de connaissance sur les nouvelles réglementations du secteur. Dit autrement, l’enquête approfondit aussi le ressenti professionnel et les besoins des membres de cette communauté professionnelle unique et atypique, notamment de par son nombre de membres (évalués entre 1200 et 1500 en France, actifs ou pas, dont près de 800 à jour de leur visite médicale en 2017).

Photo Paul Poivert

Quelle validité pour cette enquête ?

Le niveau de confiance d’un sondage peut se mesurer sur la base d’un échantillon de 1000 personnes. Dans ce cas, l’obtention de 278 réponses correspond alors à un niveau de confiance de 95%, 400 réponses, un niveau de confiance de 99%. Dans le cadre de cette enquête, 465 questionnaires ont été distribués, 451 réponses ont été obtenues pour l’ensemble de l’Enquête. A cela s’ajoutent 21 sondages express (SE) et 23 évaluations session (EVS) si bien qu’au final, 495 réponses ont été obtenues sur le sujet de la permanence du travail.

Qui a répondu à l’enquête ?

Avec un âge moyen de 35 ans, ce sont majoritairement des français (427 en tout) qui ont répondu (normal puisque l’enquête se voulait nationale !) mais il est intéressant de dire que 17 Belges, 4 Suisses et 2 Espagnols ont aussi participé. Il s’est agi majoritairement de Classe 2A (87,5% soit 395 personnes), Classe 2 B (5,10% soit 23 personnes), le reste se répartissant en Classe 3/A/B/C/D (10,42% soit 47 personnes). A noter ici que certains scaphandriers possèdent plusieurs classifications.

Où ont–il été formés ?

Dans l’ordre décroissant, 249 personnes ont été formés à l’INPP Marseille, 123 à l’ENS Saint-Mandrier, 41 au CAP Trébeurden, 23 à CFPME Dinant (Belgique), 18 à l’INPP Lorient, 13 à Underwater Center, 7 dans d’autres lieux dont NYD Oslo. De façon très intéressante l’enquête révèle que 65,19% soit 294 des personnes interrogées sont devenues « scaph » après une reconversion après 6 ans en moyenne comme « travailleur manuel », que la plupart (82,26% soit 371 personnes) était plongeur avant d’embrasser le métier de « scaph » avec généralement un niveau 3 de plongée.

Quelle fréquence pour ce type d’emploi ?

Il était relativement difficile de mettre en avant l’analyse de la permanence du travail en ne considérant qu’une seule année ou les 12 derniers mois plutôt que depuis 2 ans ou depuis plus de 2 ans, ou encore le comparatif entre nombre de scaphandriers formés et la permanence du travail. Le choix a donc été fait de montrer l’évolution de la permanence du travail de 2010 à 2017.

L’analyse révèle clairement un effondrement de la permanence du travail depuis 2015. La raison principale à cela semble être la saturation de l’offre face à la demande, les trois dernières années ayant vu autant de formations que les 5 années précédentes. En tout, ce sont tout de même 1230 Certificats d’Aptitude à l’Hyperbarie qui ont été délivrés pour ces 8 années. On peut aussi remarquer que le besoin d’intervention de scaphandriers est en baisse dans l’ensemble des secteurs d’activités (maintenance, voies navigables, BTP, etc…).

La profession, qui véhicule encore une image « fantasmée »  de super héros, à laquelle s’ajoutent un nombre des plongeurs qui ont fait cette formation par enjeu personnel et des activités épisodiques générant des revenus faibles, accélère rapidement la tentation  d’abandonner le métier (surtout dans les dernières sessions de formation qui connaissent une proportion importante d’abandons de la profession, souvent moins de deux ans après la formation).

Toutefois, les scaphandriers les plus incisifs, déclarent avoir leurs réseaux personnels, sollicitant régulièrement leurs précédents employeurs. De plus, ils sont souvent munis de compétences multiples, notamment un « bagage »  manuel, en métallurgie ou bâtiment, et ceci fait qu’ils arrivent encore à tirer leur épingle du jeu.

Photo Paul Poivert

Que dire du confort associé au métier ?

Certains chiffres sont révélateurs du malaise de la profession. En effet près de 27% soit 121 personnes déclarent dormir dans leur voiture près du chantier de travail, et pour 25% la voiture n’est pas équipée pour cela ! 40% déclarent aussi utiliser des hôtels «bon marché». On peut se demander : quid des autres 60% ?

Quelle image pour quelle rémunération ?

L’âge d’or du scaphandrier est loin. Aujourd’hui, le revenu moyen est proche du SMIC (pour les classes 2A). Pour autant, et malgré la dureté du métier parfois, les sacrifices familiaux qu’il faut consentir ou encore les déplacements, la plupart des plongeurs (75,3% soit 339 personnes) déclarent que leur métier reste enthousiasment, qu’ils sont toujours aussi passionnés, qu’ils aiment ce côté aventurier, et 60,7% d’entre eux disent qu’ils referaient ce choix s’il le fallait.

Pour conclure, le métier de scaphandrier reste passionnant aux yeux des intéressés mais il ne paye plus vraiment, se pratique dans des conditions parfois précaires et pas forcément à l’année complète. Les chiffres de cette enquête le révèlent clairement. Que nos décideurs s’en emparent et rendent ses lettres de noblesse à cette profession difficile n’est pas un vœu pieux. Cela devrait juste être naturel.

Tout le détail de l’enquête et plus encore sur https://lecollectifscaphs.blogspot.fr/

Xavier tient à remercier Renan Legal et Eric Saint Sulpice, ses compagnons de route durant cette enquête. Mais également Thierry Goël, Serge Rafin, Thibaut Chailloleau et Harold Coquelin pour toute leur aide technique et logistique durant l’enquête.

Xavier, le maitre d’œuvre de l’enquête

4 COMMENTS

  1. Bonjour et merci pour cet article très intéressant et très instructif.
    J’envisage de me former au cap de trebeurden, dans le cadre d’une reconversion professionnelle.
    Je réside en Guadeloupe.
    Avez vous connaissance des perspectives d’emploi dans la zone caraïbe ?
    Merci

  2. Un métier qui souffre aussi d’une forme de modernisme systémique inadapté aux réalités non virtuelles.
    Est-il possible d’en parler ? Beaucoup le disent, mais jamais cela n’est reporter dans les textes, comme si cela était censuré.
    Il y a plusieurs choses, d’abord, une (puis des) écoles qui forment à la sécurité et délivrent un certificat d’aptitude, non pas au métier de scaphandrier (comme on pourrait le croire à tort), mais à l’immersion en milieu hyperbare au travail. Ce qui fait que beaucoup se disent et se pensent (comme moi même mes premières années) scaphandrier en sortant de l’école. Bien que pourtant, nous l’avions tous obtenu (aucune sélection pour un métier si difficile ? comment est-ce possible de le croire ? C’est pourtant le cas, le stage coûte chers, très chers, et tout le monde l’obtient).
    Donc énormément de nouveaux venus sur le marché du travail, mais avec aucune compétence.
    Ensuite, le tarif journalier est le même pour un débutant que pour une expérience de 15 ans pour un chef d’équipe. Soit environ 160 € par jour en incluant les “indemnité de grand déplacement”… je vous parle de 12 € de l’heure de tarif. Et cela est due au fait qu’il n’y a pas de plancher sur les tarifs des équipes de scaphandriers à la journée sur un chantier, la concurrence est donc très dure pour les patrons.
    Enfin, des obligations administratives excessivement honnéreuses s’ajoutent de plus en plus à la profession, tant du côté du travailleur que de l’employeur. Sous couvert de sécurité, une entreprise doit débourser plus de 10 K€ pour se faire certifier avec tout son matos. Le travailleur lui paye son ‘refresh” tous les 5 ans et on lui lit une mise à jour des textes de loi + une plongée test qui consiste à faire un secours à 20m de distance sur deux jours pour la modique somme de 900 à 1200€ (n’est pas inclus le repas et la chambre) ! C’est terriblement excessif à tel point que l’on peut se demander si certains ne profitent pas du travail des autres et de situations particulières sans complexe.
    Enfin, le nouveau moule social se voit arriver son lot de métro-sexuels douillets de fainéants et de béni oui-oui chaque année, avec cette image permanente du “djeuns” (un peu attardé en âge) qui passe son temps sur son téléphone portable à regarder des âneries mais ne comprend rien au chantier, alors que le scaphandrier est avant tout un individu rustique, robuste, présent, débrouillard (sauf en offshore où il doit plutôt être discret et dire “oui”), courageux et ordonné et dans la plupart des cas, c’est un profil d’ouvrier, pas d’ingénieur (à part quelques rares exceptions). Il n’est pas étonnant que dans pas mal de missions de travail, les profils d’adulescents sont désavantagés, bien que majoritaires du fait de la modernité du moment.
    Les moins débrouillards dans l’eau, qui seront un poids pour l’entreprise mais aussi pour ses collègues ferons surtout de l’administratif par la suite, ou tout autre chose (j’en ai bien connu un nommé ici), sans jamais reconnaître leur inaptitude à ce travail souvent rude.
    Alors avec tout ça dans le sac, les prix, comparé à avant où les conditions étaient plus rudes du fait de plus de temps passé dans l’eau et de moins de protection, est beaucoup plus bas et ne tient pas compte des réels scores réalisés lors des plongées de chaque travailleur. Quel dommage.
    Il y a mille et une choses à faire dans l’eau, et scaphandrier, pour ainsi dire, ça n’est pas un seul métier.
    Seulement voilà, ça ne paye plus. Ceux qui ont d’autres cordes à leur arc s’en vont aussi. Qui restera-t-il et qu’est ce que cela va devenir ensuite ?

  3. c’est comme a l’armée !! ” le nouveau moule social se voit arriver son lot de métro-sexuels douillets de fainéants et de béni oui-oui chaque année, avec cette image permanente du “djeuns” (un peu attardé en âge) qui passe son temps sur son téléphone portable à regarder des âneries mais ne comprend rien au chantier, alors que le scaphandrier est avant tout un individu rustique, robuste, présent, débrouillard!! Et des futur chef en plus !!! ” Ca m’a beaucoup aidé à quitter le système militaire malheureusement …. c’était devenu impossible .

  4. Pas toujours d’accord avec le reportage ! Pour ma part j’ai travaillé comme scaphandrier (IIA) entre 1996 et 2016, la moitié comme salarié, l’autre en free lance.
    Quasiment jamais de “vide” entre 2 missions.

    La raison ? Une expérience de mécanicien d’engins de chantier, 3 ans en Guyane, et 8 ans chez CATERPILLAR, entre deux quelques mission intérim. comme soudeur au chantier naval VERGOZ de Concarneau.
    Donc,…. Si tu rentre dans la profession, et que tu as un métier dans les mains, tu bosse à plein temps.
    Amicalement, Gwen.

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