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Par Jean-Louis Maurette / Expédition Scyllias

Nul besoin d’aller à l’autre bout du monde pour trouver des plongées d’exception, dépaysantes et aux rencontres étonnantes. Allez donc faire un petit tour en Bretagne, du côté des Sept-Iles, un grand spectacle vous y attend, aussi bien sur terre que sous l’eau…

Situé entre Perros-Guirec et Trégastel, l’Archipel des Sept-Iles est un véritable joyau posé sur la mer pour plus grand bonheur des naturalistes ou, plus simplement, des amateurs de sites exceptionnels et sauvages.

Constitué d’un ensemble d’îles et d’îlots rocheux sculptés par le vent et les vagues cette réserve naturelle s’étend sur une superficie d’une quarantaine d’hectares à marée haute et s’étale sur deux cent quatre-vingt hectares à marée basse. L’Ile Plate, le Cerf, Rouzic, Malban, les Costans, Bono et l’Ile-aux-Moines (la seule dont l’accès soit autorisé, toutes les autres étant interdites au débarquement) composent cet archipel connu comme l’un des plus beaux et des mieux préservés de Bretagne.

Vingt-sept espèces d’oiseaux nicheurs s’y reproduisent, dont les sympathiques pingouins torda et guillemots de Troïl, les fameux macareux moines à la livrée surprenante rappelant les clowns de notre enfance, les discrets puffins anglais, plus un nombre impressionnant de fous de Bassan, de cormorans huppés et de goëlands argentés, bruns ou marins. Et pourtant cet Eden de la gent ailée faillit bien être victime de la folie des hommes quand au début du siècle des massacres d’oiseaux, principalement de macareux, y furent organisés afin d’assouvir le goût pour le moins douteux d’un tourisme pseudo-cynégétique en mal de sensation. En 1912 des naturalistes et ornithologues s’indignent de ce carnage et se mobilisent afin de sauver les Sept-Iles et les quelques couples d’oiseaux survivants. Pour ce faire, ces protecteurs de la nature créent la Ligue pour la protection des oiseaux, dont le logo est un macareux moine, et obtiennent l’interdiction de la chasse et du débarquement sur l’Ile Rouzic. L’effet se fait rapidement sentir et l’année suivante voit une remontée salvatrice des effectifs de macareux puis l’arrivée progressive de nouvelles espèces qui viennent s’établir dans ce nouveau sanctuaire.

Après quelques péripéties et vicissitudes, dont les tristes marées noires pourvoyeuses de bien des maux, l’archipel reçoit le statut de réserve naturelle en 1976. Enfin ! Pourrait-on dire…

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Fin juin, entre deux averses et deux coups de vent, lorsque mon ami Jacques, plongeur de « l’Expédition Scyllias », me propose de rendre une petite visite aux fonds marins qui baignent ce patrimoine naturel d’exception je manifeste un enthousiasme modéré quant à la possibilité de réaliser une sortie au vu de la météo diabolique qui règne sur la Bretagne et semble vouloir s’y établir à demeure ! Mais sait-on jamais ? Il suffirait d’une courte accalmie pour que nous puissions aller tremper nos palmes dans une zone intéressante au plus haut point et pourtant peu fréquentée.

Le moment tant attendu arrive de manière impromptue une journée de juillet et rendez-vous est rapidement pris à la cale du charmant port de Ploumanac’h, petit joyaux niché au cœur de la Côte de Granit Rose. Profitant d’un timide soleil qui a enfin fait son apparition après cette interminable période de mauvais temps assez hallucinante nous nous équipons dans la bonne humeur afin de profiter au mieux de cette bénéfique et tant attendue éclaircie. Le semi-rigide est rapidement chargé et nous quittons tranquillement le port en serpentant dans le chenal balisé qui nous guide vers la sortie. Le paysage est magnifique, baigné par un soleil devenu malheureusement si avare de ses apparitions dans l’Ouest depuis bien longtemps. Le regard ne sait pas trop où s’attarder car les pôles d’intérêts sont multiples, tels le phare de Mean Ruz, le château de Costaëres, l’oratoire de Saint-Guirec, sans compter les amoncellements de blocs de granit érodés, splendide chaos géologique aux formes surprenantes, sculptures surnaturelles modelées par les tempêtes depuis trois cent millions d’années.

L’avant plongée est déjà un régal visuel et nous avons hâte à présent de vérifier si le plumage vaut le ramage, ou plus prosaïquement, si le dessous vaut le dessus ! Jacques enfonce le levier des gaz et sous la poussée des quatre vingt dix chevaux le bateau déjauge sans se faire prier, hélas l’état de la mer nécessite de réduire la vitesse après quelques minutes de plaisir. En effet, un très vilain clapot sévit à l’extérieur et nous oblige à naviguer à une douzaine de nœuds, ce qui n’est déjà pas si mal après tout au vu des conditions. Cela nous permet d’admirer le splendide panorama que nous offre la côte et de profiter au maximum de cette belle journée.

Slalomant autour des curieuses marmites de sorcières bouillant en surface nous progressons vers l’archipel, le sourire aux lèvres. De toute façon Jacques a prévu large au niveau du timing afin d’effectuer une petite ballade préalable autour de Cerf, but principal de la sortie, dans l’espoir de pouvoir observer des phoques. En effet, une des particularités des Sept-Iles est d’héberger un groupe d’une douzaine de phoques gris qui y vit en permanence et s’y reproduit, ce qui en fait la seconde colonie reproductrice de France.

Arrivé sur les lieux nous commençons par faire le tour de l’Ile Plate à vitesse réduite puis nous nous dirigeons vers Cerf mais malgré nos recherches les pinnipèdes brillent par leur absence. Serait-ce l’heure du repas pour ces charmants animaux ? Possible, en tous cas pour notre équipe sonne le moment de la mise à l’eau et Jacques amène le bateau vers la pointe Ouest de Cerf où nous mouillons sur un fond d’une trentaine de mètres à courte distance de l’île.

Après avoir vérifié la bonne tenue du mouillage nous disposons des pendeurs le long des boudins du semi-rigide et j’en profite pour y accrocher mon appareil photo. La vision de mon caisson étanche jaune vif se balançant mollement par moins trois mètres laisse espérer une bonne visibilité, bien que, à moins d’avoir des dons de divination, il soit impossible de présager de la clarté qui régnera au fond. Bascules arrières, récupération du matériel de prise de vues, dernières vérifications d’usage et nous nous enfonçons tous les quatre dans une eau assez claire bien que chargée en particules planctoniques.

Arrivés à l’ancre, qui repose sur un fond plat constitué de galets et de petites roches, nous constatons que la visibilité est des plus correcte, de l’ordre de cinq à six mètres. Mon regard est aussitôt attiré par une toute petite araignée de mer se déplaçant sur une plaque de sable. En ce moment il n’est pas rare d’en rencontrer plusieurs dizaines lors d’une seule plongée mais on les trouve le plus souvent sur des fonds rocheux à faible profondeur, sous la frondaison des laminaires. Ce spécimen est original car recouvert complètement d’une toison d’algues qu’il a “bouturées” volontairement sur sa carapace. Ce comportement particulier en fait un as du mimétisme mais sur ce morceau de sable lumineux son camouflage ne lui est d’aucune utilité et je perçois comme de l’angoisse dans les yeux du crustacé qui s’imagine peut-être déjà agrémenter un futur plateau de fruit de mer.

A un mètre de là, un minuscule crabe à l’étonnante couleur rouge vif essaye de s’enfouir discrètement. Sa taille est encore inférieure à celle de l’araignée, pourtant pas bien grosse. Allons nous finir cette plongée chez les nains avec une loupe ? J’ai équipé mon boîtier d’un zoom 35-80 mm, « caillou » assez polyvalent pour photographier les « monstres du littoral breton » mais je commence à sérieusement m’inquiéter de ne pas être pourvu d’un objectif macro…

Jacques nous fait signe de le suivre et nous nous dirigeons vers l’île où nous butons sur un magnifique tombant orné de gorgones oranges et d’alcyons digités du plus bel effet. Dans les failles, de splendides anémones de mer déploient de longs et élégants tentacules qui s’agitent au gré d’un léger courant. Je constate que la faune fixée est très importante mais que les poissons ne sont pas en très grand nombre. Quelques labridés déambulent de ci de là mais rien de bien délirant. Se pourrait-il que la température peu élevée actuellement à cet endroit en soit la cause ? Un coup d’œil rapide à mon thermomètre confirme cette impression de fraîcheur que je ressens au bout des doigts car ne portant pas de gants : 15 degrés celsius. Pas de quoi pavoiser ! Mais nous sommes équipés en conséquence et ne souffrons aucunement du froid.

Nous apercevons par moment des lieus ou des bars mais toujours à une distance trop éloignée pour espérer les figer sur la gélatine. Nous remontons doucement le long du tombant et arrivons sur une sorte d’ébouli constitué de blocs de roche de tailles diverses. Nous explorons le plus petit recoin, la moindre anfractuosité. Nous surprenons un rassemblement de crabes chèvres à découvert. Lequel choisir ? Il y en a trois ou quatre mais tout ce beau monde ne pense qu’à s’enfuir à notre approche et se disperse dans tous les sens. Heureusement le plus gros de la bande, qui est très certainement le moins leste, fait front. J’ai quand même du mal à soigner mon cadrage car dès que je m’approche un peu trop près l’étrille s’agite fébrilement et se redresse, pinces ouvertes, déterminé à vendre chèrement sa peau face à l’affreuse entité qui l’accule contre la paroi rocheuse. Courageuse la bête ! Si les rôles étaient inversés quelle serait ma réaction ? Je me recule légèrement, appuie sur le déclencheur et abandonne la « créature diabolique » à son destin. Je l’abandonne d’autant plus facilement que je viens de trouver un beau tourteau bien à l’abri entre deux rochers. Ce spécimen se montre beaucoup plus coopératif que ses petits cousins et me laisse même admirer ses yeux étranges aux extrémités vertes. Aviez-vous déjà noté cette couleur dans le regard de ce type de crabe ? Non ? Ne faites pas de complexe, c’est aussi mon cas, et c’est la première fois que j’observe ce crustacé avec autant de soin.

Notre pérégrination nous amène ensuite dans une sorte de canyon sous-marin où le faisceau de ma lampe débusque un homard reculant doucement au fond de son trou qu’il partage avec un congre de belle taille. J’ai tout juste le temps de faire une photo du homard qu’il disparaît déjà dans son étroite cachette. Cela m’oblige à désolidariser le flash de son bras et à l’introduire avec le hublot de mon appareil dans l’ouverture afin d’essayer malgré tout de faire une photo sans viser… Scabreux, j’en conviens, mais ne dit-on pas que la chance sourit aux audacieux ? Après tout, qui ne tente rien n’a rien.

Après cette méthode de prise de vue pour le moins empirique nous continuons notre petit périple subaquatique dans cette ambiance particulière où le minéral et les crustacés sont à l’honneur. De gros oursins sont à la fête également et ornent en grand nombre les blocs de roches alors que de temps en temps notre regard est attiré par des ormeaux de belles tailles ou la face comique d’un blennie gattorugine surpris par notre visite. Nous remontons de quelques mètres et avançons à présent au milieu de grandes algues brunes, les fameuses laminaires. Une grosse araignée immobile se laisse obligeamment photographier mais le courant se fait légèrement sentir et j’éprouve quelques difficultés à me positionner correctement. Je tente quand même une photo. J’aperçois par moment des vieilles se faufiler élégamment entre les algues mais ces beaux poissons aux couleurs éclatantes et dignes d’un aquarium tropicale restent à distance respectueuse.

Les phoques feront-ils leur apparition ? Hélas non, le bruit des bulles s’échappant de nos détendeurs les intimide. Pourtant ces animaux sont bien là car de retour en surface, nous rembarquons sur le bateau sous le regard curieux d’un phoque dont la tête émerge au-dessus de la mer à une dizaine de mètres de nous tandis qu’un deuxième animal, couché sur un rocher à courte distance, nous observe également sans crainte. Vision féerique d’une nature sauvage et préservée.

Avant de rentrer au port, Jacques nous fait visiter rapidement l’archipel : l’Ile Plate, l’Ile aux Moines dont la légende dit que Saint-Guirec y aurait vécu avant de venir évangéliser le Trégor, l’Ile Bono qui accueillit quelques familles de fermiers il fut un temps, les Costants, Malban et pour finir l’Ile Rouzic et son importante colonie de fous de Bassan. Aux Sept-Iles, le spectacle est autant sur la terre que dans les airs ou sous la mer. Un régal en trois dimensions !

Demain, si les conditions météos s’améliorent nous irons explorer les abords du phare des Triagoz, un endroit hors du temps. Ce phare de vingt-neuf mètres, original de part sa forme carrée rappelant une tour moyenâgeuse, fut érigé sur l’écueil de Guen Bras et mis en service en 1864. Un but de sortie attrayant, loin de la foule estivale, véritable parcelle de liberté à portée de palmes pour qui sait la saisir.

Quelques conseils judicieux avant de plonger aux Sept-Iles ou au phare des Triagoz

Les courants qui sévissent par ici ne sont pas à prendre à la légère, loin de là, et il est impératif de planifier à l’avance toute plongée en tenant compte des marées et des dits courants. Pour cela il est nécessaire de compulser sérieusement l’indispensable ouvrage de l’EPSHOM intitulé : Courant de Marée, Bretagne Nord, des eaux de Brehat à la Pointe de Pontusval. Cet ouvrage vous donne la direction et la force du courant de vive-eau et morte-eau heure par heure, calé sur les étales théoriques du port de Roscoff. A vous de trouver le moment où le courant sera le moins fort dans la zone que vous désirez explorer. Pour les personne voulant plonger en autonome il s’agît d’une précaution élémentaire susceptible de vous éviter d’agrémenter la rubrique estivale des faits divers. N’oubliez jamais que la plus belle plongée est celle que l’on peut raconter, alors… avant de s’immerger dans la « grande bleue »  plongez d’abord dans cet intéressant traité d’océanographie qui vous permettra de choisir la période la plus propice pour assouvir votre passion avec le maximum de sécurité. Le petit mot de Jacques : Sans ce livre il n’y a que les marins pêcheurs du coin qui puissent vous trouver l’étale. Pour en avoir fait l’expérience il y a quelques années je peux vous dire que c’est assez impressionnant. Cela faisait trois quarts d’heure que nous étions au mouillage à attendre l’étale et l’hélice du moteur au point mort tournait gaillardement. Je vérifie une nouvelle fois mon annuaire des marées, cela fait une demi-heure que l’étale théorique est passée ??? Le courant va toujours dans la même direction ! Je me décide à questionner un pêcheur qui relève ses casiers non loin de nous et lui demande s’il connaît l’heure de l’étale. Un coup d’œil rapide à sa montre et il me donne l’heure à laquelle je n’aurai plus de courant. Je retourne donc sur mon mouillage précédent et le temps de continuer de converser avec mes équipiers je constate que le courant diminue en intensité pour se stabiliser à l’heure que m’avait indiquée le pêcheur, soit une bonne heure de différence avec l’étale théorique. Lorsque vous les croisez en mer, où que vous soyez, n’hésitez pas à leurs faire un petit geste amical. Sachez que l’on vient ponctuellement sur leur lieu de travail, eux y sont toute l’année et pas tout le temps pour s’y amuser. Ils connaissent le moindre caillou et un jour vous pourriez avoir besoin d’eux. Ils peuvent aussi vous donner quelques explications sur la façon de mouiller, de faire un nœud, de prévoir un grain, etc.”

Il est également recommandé de ne pas plonger au-dessus de 60 de coefficient car après…c’est du « hors piste ». Mais l’idéal lors des premières sorties est de partir accompagné d’un plongeur connaissant parfaitement les lieux et les conditions de plongées locales. Il y a aussi les membres des centres de plongée locaux qui sauront vous renseigner. N’hésitez pas à aller les voir et faire quelques plongées avec eux avant de partir à l’aventure, vous ne le regretterez pas.

 

 

 

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